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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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ensuite.
    — Tu te verras rayer en chambre de compagnons, mon
gaillard. Car je ne te ferai pas de cadeau. C’est indigne d’un Indien
d’emmerder un autre Indien. Le chantier doit encore vivre pour trois ou quatre
mois. Après nous plions bagage. Cela me peinerait vraiment que tu sois condamné
par la chambre comme renégat. Réfléchis encore calmement. Je tiens à te laisser
la porte ouverte. Va à « l’établissage » rejoindre ton frère Nantais
La Cravate au lieu que je te fasse une conduite de Grenoble [11] .
    J’avoue que je suis resté la plume sèche, sans pouvoir
tracer un trait, en entendant cette altercation. Je comprends que Monsieur
Rabier ne désire pas se mettre à dos « l’avocat des pauvres ». Une
grève actuellement nous effondrerait. Je suis sûr que L’Angoumois va se calmer…
du moins jusqu’à la fin du chantier.
    De temps à autre je parcours le journal. L’Union Générale dirigée par un nommé Eugène Boutoux fait faillite. Ce krach financier a l’air
de toucher de près mon singe. L’Annam est sous notre protectorat et on parle
d’une expédition à Madagascar. Je regarde sur une carte où se trouve ce pays
et, avec bien du mal, je le repère caché tout près de l’Afrique du Sud.
Pourquoi aller si loin, alors que l’Alsace-Lorraine est toujours sous la botte
des casques à pointes ? Il est préférable que je ne me mêle pas de toutes
ces questions. Un seul but pour moi : Passer mes examens.
    Cette semaine j’ai réalisé un vœu fait lors de mon départ de
Saint-Aignan. Avec l’accord de Monsieur Rabier, je suis allé à la poste envoyer
un mandat à ma mère. Je ne puis décrire la joie qui m’habitait lorsque ma plume
a marqué sur le papier le chiffre « huit cents francs ». J’avais
compté, recompté plusieurs fois mes billets et mes pièces, comme un avare. Ma
mère fera bon usage de cet argent et elle verra que lorsque je promets, je
tiens.
    Monsieur Rabier a voulu m’accompagner pour que je ne me
fasse pas voler en route. En sortant il m’emmène dans un café du centre, aux
murs de glace ; les serveurs portent des costumes comme les pingouins que
j’ai vus sur un livre. Nous bavardons tranquillement en buvant du vin de Chinon
qui sent la framboise.
    — Le chantier se termine, mon petit Blois. Tu vas
passer tes examens à Angers. Je pense que tu réussiras car tu as beaucoup
travaillé. Tes notes sont bonnes. Où iras-tu après ?
    La question me prend au dépourvu, non que je n’y aie pas
pensé ; mais que puis-je répondre ?
    Monsieur Rabier m’observe, se met à rire et ajoute :
    — T’inquiète pas ; je pense pour toi et dans ton
intérêt. J’ai eu la visite d’un ami il y a quelques jours. Il s’agit de Revêche
dit Cœur de Vache, un singe qui dirige une entreprise de maçonnerie. Ce
compagnon Soubise doit restaurer les soubassements de l’église de Courchamps,
un village situé sur la route de Montreuil-Bellay. Il avait entendu parler, par
ton directeur Monsieur Mornay, d’un jeune compagnon assez fort, travaillant sur
notre chantier aux dessins des épures et aux levés de gabarits. C’est un
travail intéressant car l’église est classée par les Monuments historiques.
Qu’en dis-tu Blois ?
    Ah ! comme je me sens fier que mon patron ait pensé à
moi. Je rougis comme une fille et joue avec mes doigts.
    — Tu vas me répondre, tête de mule ? me dit-il en
riant.
    — C’est que votre proposition me fait bien
plaisir ; mais seul, c’est peut-être un peu gros !
    — Choisis un compagnon et pars avec lui. Tu as mon
accord.
    Le nom de Beauceron me vient aux lèvres. Monsieur Rabier hoche
la tête et me répond gravement :
    — C’est que, ton ami Beauceron qui t’aime comme un
père, va nous quitter.
    — C’est pas possible !
    — La bougeotte le reprend. Rester trop longtemps à la
même place, ça le chatouille. Tu le connais.
    Cette nouvelle me surprend et me fait de la peine. Ainsi mon
gros Ours ne m’a rien dit !
    — Il part avec sa Marianne ?
    — D’après ce que je sais, il n’en serait pas question.
Tu la connais ?
    — Non, mais ça ne saurait tarder ; il m’invite à
dîner ce soir chez elle. Il me semblait pourtant que cette femme allait
l’assagir, le garder… J’avoue que je ne comprends pas.
    Monsieur Rabier sourit, tète son petit cigare et, me
tapotant la cuisse, ajoute :
    — Cela fait des années que je vois des
« bardées » de bonshommes comme lui. Tout

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