Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
Vom Netzwerk:
Bordeaux.
    — Et ta Marianne ?
    — Oh ! je le lui ai dit, et elle chiale.
    — Vous vous êtes disputés ?
    — Non, pas du tout. J’essaie de lui faire comprendre
que les fourmillements me reprennent. La route me manque, petit Blois.
    — Et moi alors ?
    Cette dernière phrase le touche, à un point que je ne
prévoyais pas. Il murmure… « ah toi ! mon gosse ! » Il me
regarde ; deux grosses larmes coulent le long de ses joues. Moi aussi j’ai
l’estomac serré brusquement. D’un revers de sa grosse patte poilue, il efface
gauchement les traces de son émotion. Mon Ours se met à tousser. Un jeu
volontaire de sa part pour raffermir le timbre de sa voix. Se penchant, il
crache dans l’eau puis reprend sa marche sans se presser.
    — Nous en reparlerons tous les deux. Pas un mot à
Marianne, surtout. On bavardera de tout et de rien. Elle se réjouit de te
connaître ; n’allons pas lui gâcher sa soirée et mettre de la flotte dans
sa sauce. Nom de Dieu !
    Il m’entraîne, en arrivant sur l’autre rive, vers un
cabaret.
    — Viens ! on va se payer une verte.
    Beauceron, préparant une verte, est à lui seul un spectacle.
Avec des gestes doux, presque maternels il dépose en équilibre sur les bords de
son verre, la cuillère plate en forme de feuille de sorbier dont les nervures
sont fendues ; puis délicatement il place son sucre dessus. Il fait pisser
par petits jets l’eau du cruchon sur la pierre blanche qui fond lentement. Le
sirop va rejoindre l’absinthe dans le verre en faisant virer sa couleur au
blanc verdâtre. Je copie sur lui.
    — Aujourd’hui tu pourras dire : « J’ai goûté
à la verte », mon gamin.
    Nous sommes restés assis à siroter notre apéritif, puis j’ai
offert ma tournée. À la troisième, nous n’étions plus tristes du tout et sommes
arrivés chez Marianne en chantant. Je me demande comment Beauceron arrive à
vivre dans cette unique pièce de huit mètres carrés environ sans rien casser.
Face à la porte au fond, un grand lit s’appuie dans un angle contre le mur. Une
dentelle blanche doublée d’un tissu rouge le recouvre. Sur le côté gauche, en
entrant, un gros meuble de chêne à tiroirs est surmonté de nombreuses boîtes
étiquetées : croix simples, croix avec Christ, croix noires, blanches,
ivoires, buis, petits grains, gros grains, perles rouges, vertes, fils forts
avec leurs teintes… etc. C’est inouï la quantité de fournitures nécessaires à
une patenôtrière. Seule une pendule ancienne à petit balancier accroche un rai
de lumière que lui envoie une étroite fenêtre donnant sur la rue. Marianne a
mis dehors contre la façade, sa table de poupée en pensant qu’ainsi nous
aurions plus de place. Dans le dernier angle trône une cuisinière noire à bois
contenant un petit four, un bain-marie surmonté d’un couvercle de cuivre bien
astiqué. Aux murs sont pendus casseroles, poêles, dessins enfantins, châles,
treillis de lin. Marianne nous attend devant la table. Un sourire éclaire ses
petits yeux noirs. Les mensurations indiquées par mon Ours sont exactes :
un mètre presque cinquante, trente et quelques kilos. Une vraie poupée de fête.
De sa voix douce et joyeuse, elle s’exclame en me tendant la main :
    — Bonjour, Monsieur Blois.
    Beauceron la gronde gentiment :
    — Pas Monsieur, ma Marianne ! Blois suffit, et,
fais lui la bise.
    Mes lèvres embrassent cette petite joue de porcelaine si
fraîche.
    — Je nous ai mis dehors, car il fait beau et,
ajoute-t-elle en riant, désignant son intérieur, je craignais que nous ne
tenions pas tous les trois.
    Elle disparaît un instant avant de nous apporter une
bouteille de grolleau, ce vin rouge tirant sur le noir « qui tient au
corps » comme le prétend l’Ours. Appréciant le repas, je fais des
compliments à la cuisinière qui se tortille un peu des fesses en piquant un
fard. Notre conversation, à mon goût, sentant un peu trop le chantier,
plusieurs fois je demande à Marianne des renseignements sur sa tâche.
    — Je gagne bien ma vie, mais je vous dirai que si
j’avais quatre bras et vingt doigts ce serait encore mieux. Mon chef de
fabrication, brave homme mais très exigeant, vérifie si je fais bien les arrêts
après chaque grain. Mayaud, la plus ancienne manufacture, la plus grosse de la
ville paye rubis sur l’ongle, mais faut que le travail soit parfait. Avec ce
que gagne mon petit ourson et ce que je me fais, on pourrait vivre

Weitere Kostenlose Bücher