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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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tables
individuelles, bar, restaurant au centre du wagon, le tout construit en bois
d’essence rare. Mon compagnon m’explique que trois compagnies exploitent
chacune un tronçon du parcours : San Sebastien – Zumarraga – Durango –
Bilbao. Le matériel, tant wagons que locomotives, provient de France, de
Belgique, d’Angleterre ou d’Allemagne. De plus, l’écartement des voies diffère
d’une section à une autre ; d’où la nécessité de changer une fois de train
durant ce parcours de cent soixante kilomètres qui va durer six heures… et ce
bien entendu sur voie unique. À Zumarraga, Wandelef me quitte pour prendre la
ligne en direction de Madrid après des adieux rapides. Chaque wagon de 1 re ,
2 e ou 3 e classe des compagnies privées est frappé des
armes en bronze de sa société. Les trains sont tirés par des locomotives tour à
tour : une Creusot française, une Couillet belge et une Monomag allemande.
    J’avais acheté à Paris, dans une librairie, un précis sur
l’Espagne, de façon à repérer ce qui m’y attendait. Je viens donc de quitter
une République pour me retrouver chez le futur roi Alphonse XIII dont la
mère, Marie-Christine d’Autriche, assure la régence du royaume. En lisant ce
petit livre, je constate que je découvrirai en ce pays une mosaïque de
contrastes permanents : les gémissements et les cris de joie aigus, la
richesse débordante et la pauvreté désolante, les plaines fertiles et les
plateaux austères. Je relève aussi le fait, qui me semble très partial, que
sans la religion ce pays ne pourrait vivre et espérer.
    J’arrive enfin en gare de Bilbao avec son quai empierré.
Deux hommes viennent à moi. L’un d’eux, de taille moyenne, brun, le nez cassé,
très souriant, se présente :
    — Je suis Charles Bontemps. Êtes-vous le responsable de
chez Arnodin ?
    — Oui. Mais comment m’avez-vous reconnu ?
    — Avec facilité grâce à la description du patron. Vous
dépassez tout le monde de deux têtes.
    — Moi je suis Ramon Piso, ancien bras droit de Monsieur
Labèche et son traducteur.
    Ce dernier, de petite taille, au front bas et aux cheveux
noirs jais, garde un visage sévère pour ajouter :
    — J’ai une carreta qui nous attend, enfin je veux dire
une charrette.
    Nous montons donc dans la carreta. Le cheval efflanqué prend
son allure d’haridelle à la retraite.
    Ramon me commente le paysage :
    — Portugalete se trouve sur le Nervion juste à son
embouchure. C’est là, à Arenas, où nous devons construire le pont transbordeur
à côté de la plage couverte des baigneurs qui viendront faire trempette à la
saison et nous rendrons la tâche bien difficile.
    Ramon s’exprime facilement en français avec une pointe de
zézaiement amusant à l’oreille. De loin, il me désigne l’église San-Vicente, le
Palacio Provincial et insiste sur les frontons contre lesquels on joue à la
pelote basque. Il me parle de cette ville courageuse : La Ciudad de los
Sitros (la ville des sièges) qui, depuis 1833, lutte contre les Carlistes. Nous
arrivons à Portugalete, le faubourg maritime de Bilbao. L’emplacement des
travaux se trouve très proche de villas assez coquettes. Sur les flancs de la
colline conique se dresse une tour. Le pont transbordeur aura une longueur de
160 mètres, un tablier suspendu à 45 mètres au-dessus du niveau des plus hautes
marées, soutenu par des pylônes de 62 mètres de haut. Du côté espagnol :
l’ingénieur Alberto de Palacio en a conçu l’idée. Arnodin en est le responsable
français. Cette tâche immense me cause quelques inquiétudes. Nous nous arrêtons
près du chantier pour aller manger dans une posada, sorte d’auberge qui nous
sert une bacalao à la vizcaina ou morue à la tomate. Les Espagnols cuisent à
l’huile d’olive et pimentent leurs plats. Le vin, le chacoli, peu alcoolisé
laisse un goût âcre.
    Durant le repas, Charles Bontemps m’explique sa
situation :
    — Je ne sais comment vous me jugerez ; je dois
vous exposer ma position de façon à bien éclaircir nos rapports. Piso est au
courant, donc, je peux parler devant lui. Voici : déserteur de l’armée
française, originaire de Biarritz, maçon de métier, j’ai rencontré deux
semaines avant la déclaration de guerre une femme espagnole, belle, douce,
svelte, gaie ; bref nous avons vécu des heures magnifiques. Je désirais
ardemment ne jamais la quitter pour me retrouver en Lorraine ou dans le Nord.
Je me suis

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