La case de L'oncle Tom
douce et résignée.
« Si tout finissait en ce monde, Georges, reprit Siméon, c’est alors que tu pourrais dire : Où est le Seigneur ? mais c’est souvent à ceux qui ont la moindre part en cette vie, qu’il réserve son royaume. Mets donc en lui ton espérance, et quoi qu’il te puisse arriver ici-bas, il te rendra justice un jour. »
Ces paroles, dites par quelque prédicant, austère pour autrui, indulgent pour lui-même, et débitées comme un lieu commun de pieuse rhétorique à l’usage des affligés, eussent manqué leur effet ; mais, venant d’un homme qui s’exposait tous les jours, avec calme, à l’amende et à la prison, pour servir une cause humaine et divine, elles avaient un poids immense : et les pauvres fugitifs désolés y puiseront un surcroît de force et de courage.
Rachel prit Éliza par la main, et la conduisit à table : à peine étaient-ils à souper qu’on frappa doucement : Ruth entra.
« J’ai couru bien vite, dit-elle, apporter ces petits bas pour le garçon : il y en a trois paires en laine, bonnes et chaudes. Il fait si froid au Canada ! Tu ne te laisses pas abattre, j’espère, ajouta-t-elle en faisant le tour de la table pour arriver à Éliza. Elle lui serra cordialement la main et glissa un gâteau de maïs dans celle de Henri. J’en ai apporté un petit paquet, dit-elle en faisant des efforts désespérés pour le tirer de sa poche. Les enfants ont toujours faim, tu sais.
– Oh merci, vous êtes trop bonne, dit Éliza.
– Mets-toi là, et soupe avec nous, Ruth, dit Rachel.
– Impossible. J’ai laissé des biscuits au four et John avec le petit ; si je reste une minute de trop, John laissera brûler les biscuits, et donnera au petit tout ce qu’il y a de sucre dans le sucrier. Il n’en fait jamais d’autres, dit la petite quakeresse en riant. Au revoir donc, Éliza – au revoir, Georges. Que le Seigneur vous accorde un bon voyage ! Et sur ce, elle partit d’un pied léger.
Un grand chariot couvert s’arrêta bientôt devant la porte. La nuit était claire, et les étoiles brillaient au ciel. Phinéas sauta lestement à bas du siège pour donner un coup de main aux arrangements des voyageurs. Georges sortit de la maison, donnant le bras à sa femme d’un côté, et de l’autre portant son fils. Il marchait d’un pas ferme ; sa figure était calme et résolue, Rachel et Siméon le suivaient.
« Sortez un moment, vous autres, dit Phinéas à ceux qui étaient déjà dans la voiture, afin que j’assujettisse la banquette de derrière pour les femmes et l’enfant.
– Voilà deux peaux de buffle, dit Rachel ; arrange les sièges aussi commodément que possible C’est une fatigue de voyager toute une nuit ! »
Jim s’élança hors du chariot le premier, et en fit descendre avec soin sa vieille mère, qui, cramponnée à son bras, regardait avec anxiété autour d’elle, s’attendant à voir se glisser quelque traqueur dans l’ombre.
« Jim, tes pistolets sont-ils prêts, et armés ? demanda Georges à voix basse.
– Oui, tout prêts, répliqua Jim.
– Et tu sais ce que tu as à faire, s’ils viennent ? Tu n’hésiteras pas ?
– Hésiter ? oh non ! » Jim ouvrit sa large poitrine et aspira l’air fortement : « Me crois-tu disposé à leur rendre ma mère ? »
Pendant ce bref colloque, Éliza prit congé de Rachel ; Siméon l’aida à monter en voiture, et se faufilant au fond avec son fils, elle s’assit sur les peaux de buffle : la vieille vint ensuite. Georges et Jim se placèrent sur la banquette de devant, et Phinéas sur le siège.
« Adieu, amis ! leur cria Siméon du dehors.
– Dieu vous bénisse ! » répondirent-ils tous de l’intérieur.
Et le chariot s’ébranla, sautant et cahotant sur la route glacée.
Le bruit des roues, l’inégalité du chemin, interdisaient toute conversation. La voiture roula donc à travers de longs espaces couverts de bois, à travers d’immenses plaines arides et solitaires, gravissant des collines, descendant des vallées, et avançant cahin-caha, heure après heure. L’enfant, profondément endormi, reposait sur les genoux de sa mère. La pauvre vieille avait enfin oublié ses terreurs. L’anxiété même d’Éliza cédait au sommeil, à mesure que s’avançait la nuit. Phinéas seul, toujours sur l’éveil, charmait les longueurs de la route, en sifflant certains airs peu édifiants, et fort anti-quakers.
Vers trois heures du matin,
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