La case de L'oncle Tom
Georges distingua le cliquetis rapide et pressé d’un pas de cheval, arrivant derrière eux. Il poussa Phinéas du coude. Phinéas arrêta ses chevaux : il écouta.
« Ce doit être Michel, dit-il ; je crois reconnaître le galop de sa bête. » Il se leva debout sur le siège, et regarda en arrière.
Un cavalier, accourant à toute bride, apparut au sommet d’une colline éloignée. « C’est lui, ou je me trompe fort, » dit Phinéas. Georges et Jim avaient sauté à terre, avant de savoir ce qu’ils faisaient : immobiles et muets, ils attendaient, la figure tournée vers le messager. Celui-ci approchait ; tout à coup, il disparut dans un vallon, mais ils entendaient encore le piétinement fougueux et précipité du cheval ; enfin, il surgit sur le haut d’une éminence, à portée de la voix.
« C’est Michel en chair et en os, dit Phinéas ; et il appela : Michel ! holà hé !
– Phinéas ! est-ce toi ?
– Oui ; quelles nouvelles ? – viennent-ils ?
– À cent pas derrière moi ! huit ou dix, échauffés d’eau-de-vie, sacrant, écumant, comme une bande de loups. »
Il parlait encore, la brise apporta le son affaibli d’une troupe au galop.
« Rentrez, – et vivement ! dit Phinéas. S’il faut se battre, attendez que je vous mène un bout de chemin plus loin. » Georges et Jim sautèrent sur la banquette, et Phinéas lança ses chevaux à fond de train. Michel les escortait. Le chariot roula, bondit, vola presque sur la terre durcie, mais le bruit des cavaliers qui accouraient derrière devenait de plus en plus distinct. Les femmes l’entendirent ; elles regardèrent avec terreur au dehors, et virent, à la cime d’une colline distante, un groupe d’hommes qui se détachait sur le fond rouge du ciel rayé par les premières lueurs de l’aube. Encore une autre colline franchie ; les traqueurs viennent d’apercevoir le chariot, que sa bâche blanche signale de loin : un brutal hurlement de triomphe arrive jusqu’aux fugitifs. Éliza, qui se sent défaillir, presse fortement son enfant sur son sein ; la vieille gémit et prie : Georges et Jim arment leurs pistolets avec l’énergie du désespoir. L’ennemi gagne du terrain. La voiture a fait un soudain détour, et s’arrête en vue d’une chaîne de rochers escarpés, surplombant, formant une masse isolée et gigantesque au milieu d’un terrain plane et découvert. Ce solitaire amas de rocs, qui se dresse, noir et massif, sur le ciel coloré du matin, semble offrir une retraite assurée.
Ce lieu était bien connu de Phinéas, qui l’avait exploré mainte et mainte fois dans ses excursions de chasse, et c’était pour l’atteindre qu’il avait impitoyablement fouetté ses chevaux.
« Maintenant à l’assaut ! dit-il, sautant à bas de son siège. Sortez tous en un clin d’œil et grimpez là-haut avec moi ! Michel, attache ton cheval au chariot ; pousse jusque chez Amariah ; décide-le à venir, lui et ses fils, nous aider à mettre ces drôles à la raison. »
Tous furent à terre en une seconde.
« Là, dit Phinéas, s’emparant de Henri ; chargez-vous des femmes, vous autres, et courez aussi vite que vous ayiez jamais couru ! »
L’exhortation était inutile. Tous, plus agiles que la parole, franchirent la palissade et s’enfuirent vers les rochers, tandis que Michel, attachant par la bride son cheval au chariot, s’éloignait à toute vitesse.
« En avant, dit Phinéas, lorsque arrivé au pied des rocs il distingua, à la clarté mixte des étoiles et de l’aube, les traces d’un sentier mal frayé ; voilà un de nos vieux repaires de chasse. Alerte ! »
Il marchait le premier, gravissant le rocher comme une chèvre, l’enfant toujours dans ses bras. Jim venait après, portant sur ses épaules sa vieille mère tremblante, Georges et Éliza formaient l’arrière-garde.
La troupe des cavaliers, arrivée aux palissades, maugréait, jurait, et, mettant pied à terre, se disposait à poursuivre sa proie.
De leur côté, les pauvres malheureux traqués avaient atteint le sommet de la chaîne. Là, le sentier fuyait à travers un étroit défilé, ou l’on ne pouvait passer qu’un à un. Tout à coup ils se trouvèrent arrêtés par une crevasse large de plus d’un mètre : au delà, une pile de rocs, séparée du reste de la chaîne, élevait à trente pieds de hauteur ses flancs nus et perpendiculaires comme les murailles d’un château fort. Phinéas franchit
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