La case de L'oncle Tom
à travers les jalousies fermées.
Le lit est drapé de blanc ; là, sous les ailes de l’ange en prières, repose une forme endormie, – endormie pour ne plus s’éveiller ! Elle gît – vêtue d’une des simples robes blanches qu’elle avait coutume de porter durant sa vie. Les reflets roses des rideaux répandent sur la pâleur rigide de la mort une teinte chaude. Les longs cils s’abaissent sur ces joues si pures ! La tête est un peu tournée sur le côté, comme dans le sommeil ; mais chaque trait du visage est empreint de cette expression céleste, mélange de ravissement et de paix, qui annonce que ce n’est plus le sommeil passager et terrestre, mais le long et suave repos que le Seigneur accorde à ses bien-aimés.
« Il n’y a pas de mort pour toi et tes pareilles, chère Éva ! ni ses épouvantements, ni ses ténèbres ; rien qu’un brillant crépuscule, comme quand l’étoile du matin pâlit devant les feux de l’aube. Tu as remporté la victoire sans le combat, – la couronne, sans la lutte. »
Ainsi pensait Saint-Clair, tandis que debout, les bras croisés, il la contemplait en silence. Ah ! qui eût pu sonder l’abîme de sa douleur ! Depuis l’heure funeste où, dans la chambre mortuaire, une voix avait dit : « Elle a passé ! » un brouillard enveloppait tout ; nuit ténébreuse de l’âme en ses angoisses ! Il avait entendu parler autour de lui : on l’avait questionné, il avait répondu. On lui avait demandé quand il voulait que se fissent les funérailles, et où il souhaitait qu’elle fût déposée : il avait dit, avec impatience ; que peu lui importait !
Adolphe et Rosa avaient rangé la chambre. Malgré leur étourderie et leur légèreté, ni l’un ni l’autre ne manquait de cœur ; et pendant que miss Ophélia présidait à l’ordre général et à la propreté, ils mettaient les dernières touches de poésie et de sentiment, qui enlèvent à la mort et à son entourage l’aspect lugubre et terrible qu’elle revêt à la Nouvelle-Angleterre.
Il y avait sur toutes les étagères des fleurs blanches, délicates, parfumées, aux feuilles gracieuses et retombantes. Sur la petite table d’Éva, recouverte d’une blanche batiste, était son vase favori, contenant un seul bouton de rose blanche mousseuse. Les plis des rideaux, les draperies avaient été disposés avec un goût noble et sévère. Pendant que Saint-Clair était là, toujours immobile, Rosa se glissa dans la chambre, apportant une corbeille de fleurs. À la vue du maître, elle s’arrêta et fit quelques pas en arrière ; mais s’apercevant qu’il ne bougeait pas, elle se rapprocha du lit. Il la vit, comme en un rêve, placer entre les petites mains jointes une branche de jasmin, puis disposer les fleurs autour de la couche.
La porte se rouvrit, et Topsy, les yeux gros de pleurs, parut sur le seuil : elle cachait quelque chose sous son tablier. Rosa lui fit de la main un geste impérieux, mais elle avait déjà un pied dans la chambre.
« Veux-tu bien t’en aller ! dit Rosa, à voix basse, et d’un ton absolu. Tu n’as que faire ici, toi !
– Oh ! laissez ! laissez faire à moi ! j’ai porté une fleur, – une fleur si jolie ! dit l’enfant en montrant une rose-thé à peine éclose. Je vous en prie, laissez-moi la mett’ là !
– Va-t’en ! dit Rosa avec insistance.
– Qu’elle reste ! s’écria Saint-Clair en frappant du pied. Qu’elle approche, je le veux ! »
Rosa sortit en hâte ; Topsy s’avança et déposa son offrande au pied du corps : puis, tout à coup, poussant un cri lugubre, sauvage, elle se roula par terre auprès du lit, et pleura et gémit à haute voix. Miss Ophélia accourut ; elle essaya de relever l’enfant, de la faire taire ; mais en vain.
« Ô miss Éva !… miss Éva ! moi voudrais être morte, aussi ! – moi le voudrais ! »
Il y avait dans ce cri un accent si déchirant, que le visage de marbre de Saint-Clair en rougit ; le sang y afflua, et les premières larmes qu’il eût répandues depuis la mort d’Éva jaillirent de ses yeux.
« Levez-vous, enfant, dit miss Ophélia d’une voix adoucie. Ne pleurez pas si fort ! miss Éva est partie pour le ciel ! C’est un ange, à présent.
– Mais je peux pas la voir ! – je la verrai plus jamais ! et Topsy sanglota de nouveau. Il y eut un moment de silence.
– Elle a dit qu’elle m’aimait , reprit Topsy, – oui, elle l’a dit ! –
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