La case de L'oncle Tom
incrédulité [40] ! »
– Qui sait rien sur rien ? dit Saint-Clair, le regard vague, et se parlant à lui-même. Tout ce pur amour, toute cette admirable foi, ne seraient-ils qu’une des phases changeantes des sensations humaines, ne s’appuyant sur rien de réel, passant avec ce petit souffle d’un jour ? N’y a-t-il donc plus d’Éva ? – point de ciel ? – point de Christ ? – rien ?
– Ô cher maître ! il y a tout cela ; je le sais ; j’en suis sûr, s’écria Tom, tombant à genoux. Croyez-le, cher maître ! croyez-le !
– Comment sais-tu qu’il y a un Christ, Tom ? tu ne l’as jamais vu.
– Je l’ai senti, maître ! – je l’ai senti dans mon âme ! je l’y sens à présent ! Ô maître ! quand j’ai été vendu, séparé de ma chère femme, de mes petits enfants, j’étais quasi brisé aussi. Je croyais qu’il ne me restait plus rien au monde ; mais le bon Seigneur était là, près de moi ; il a dit : « Ne crains pas, Tom. » Il illumine et réjouit l’âme du dernier des derniers. – Il y met la paix. Je suis si heureux ! J’aime tout le monde ! Je ne demande qu’à être au Seigneur, et que sa volonté soit faite en moi, et partout, où, et comme il lui plaira. Je sais bien que cela ne peut venir de moi, qui ne suis qu’une pauvre créature sujette à la plainte : c’est un don du Seigneur, et je sais qu’il le tient tout prêt pour maître. »
Tom parlait en pleurant et d’une voix étouffée. Saint-Clair appuya sa tête sur l’épaule de Tom, et étreignit convulsivement sa main rude et fidèle.
– Tu m’aimes, Tom ? dit-il.
– Je donnerais ma vie de bon cœur, ce même jour béni pour voir maître chrétien.
– Pauvre bon fou ! dit Saint-Clair, se soulevant à demi ; je ne suis pas digne de l’amour d’un brave et honnête cœur comme le tien.
– Ô maître ! il n’y a pas que moi qui vous aime, – le bienheureux seigneur Jésus vous aime aussi.
– Comment le sais-tu, Tom ?
– Je ne le sais pas, je le sens. Ô maître ! « l’amour du Christ passe l’intelligence. »
– N’est-il pas étrange, dit Saint-Clair, en se détournant, que l’histoire d’un homme, qui a vécu et qui est mort depuis dix-huit cents ans, émeuve ainsi les cœurs ? Mais ce n’était pas un homme, ajouta-t-il tout à coup. Nul homme n’a exercé ce long et vivant pouvoir ! Oh ! que je pusse croire ce que m’enseignait ma mère ! que je pusse prier, comme je priais enfant !
– S’il vous plait, maître, dit Tom, miss Éva avait coutume de lire si bien cette page ! Peut-être maître aurait la bonté de la lire pour moi ? Je n’entends presque plus jamais le saint livre depuis que miss Éva n’est plus là. »
C’était le onzième chapitre de l’Évangile de saint Jean, le touchant récit de la résurrection de Lazare. Saint-Clair le lut haut ; de temps à autre il s’arrêtait pour dominer son émotion. À genoux devant lui, Tom écoutait les mains jointes, son calme visage rayonnant d’amour, d’espérance et de foi.
« Tom, dit son maître, tu crois tout cela vrai, réel ?
– Je le vois , maître, répondit Tom.
– Que n’ai-je tes yeux, Tom !
– Maître les aura s’il plaît au cher Seigneur !
– Mais, Tom, tu sais que je suis beaucoup plus éclairé que toi. Si je te disais que je ne crois pas à la Bible ?
– Oh, maître ! dit Tom élevant les mains avec un geste suppliant.
– Ta foi n’en serait-elle pas ébranlée, Tom ?
– Pas un brin, maître !
– Et pourtant, Tom, tu ne doutes pas que je n’en sache plus long que toi ?
– N’avez-vous pas lu, maître, qu’il révèle aux petits enfants et aux humbles ce qu’il cache aux sages et aux savants ? Mais, maître n’était pas sérieux tout à l’heure ; maître ne disait pas ça tout de bon, bien sûr ? Et Tom regarda Saint-Clair avec anxiété.
– Non, Tom, je ne suis pas tout à fait incrédule ; je crois qu’il y a de fortes raisons de croire, et cependant je ne crois pas. C’est une mauvaise habitude que j’ai contractée, Tom.
– Si maître voulait seulement prier !
– Qui te dit que je ne prie pas ?
– Maître prie !
– Je prierais si je voyais là quelqu’un à qui adresser mes prières ; mais il n’y a personne, et c’est comme si je parlais dans le vide. Tu sais prier, toi ! montre-moi comment on prie. »
Le cœur de Tom était plein, il l’épancha en
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