La case de L'oncle Tom
« Pensez un peu ! pas une âme pour avoir soin de toi, bien portant ou malade ! Je crois que je n’aurai plus le cœur d’être bonne après ça. »
Les petits garçons, ayant dépêché tout ce qu’il y avait à déjeuner, commencèrent à comprendre ce qui se passait, et, voyant leur mère en larmes, leur père profondément triste, ils se mirent à pleurnicher et à s’essuyer les yeux. L’oncle Tom tenait la petite sur ses genoux, et la laissait se passer toutes ses fantaisies : elle lui égratignait le visage, lui tirait les cheveux, et parfois éclatait en bruyantes explosions de joie, résultats évidents de ses méditations intérieures.
« Oui, ris, chante, pauv’ créature ! dit tante Chloé ; tu en viendras là aussi, toi ! tu vivras pour voir ton mari vendu, pour être vendue peut-être toi-même ; et les garçons seront vendus à leur tour, quand ils tourneront bons à quelque chose. Mieux vaudrait pour pauv’ nèg’ , n’avoir ni enfants, ni rien du tout. »
Moïse cria du dehors : « Maîtresse, li venir là-bas !
– Qu’est-ce qu’elle vient chercher ici ? Quel bien peut-elle nous faire ? »
Madame Shelby entra. Tante Chloé lui avança une chaise d’un air décidément bourru ; mais elle ne prit garde ni à la chaise, ni à la façon de l’offrir. Elle était pâle et agitée.
« Tom, dit-elle, je viens pour… » Elle s’arrêta tout à coup, regarda le groupe silencieux, et, se couvrant la figure de son mouchoir, elle sanglota.
« Seigneur bon Dieu ! maîtresse, pas pleurer ! pas pleurer comme ça ! » dit tante Chloé éclatant à son tour. Pendant quelques moments, tous pleurèrent de compagnie ; et dans ces larmes que répandirent ensemble les plus élevés et les plus humbles, se fondirent toutes les colères, tous les ressentiments qui brûlent le cœur de l’opprimé.
Ô vous qui visitez le pauvre, sachez-le bien, tout ce que votre argent peut acheter, donné d’une main froide en détournant les yeux, ne vaut pas une larme d’affectueuse sympathie !
« Mon brave Tom, reprit madame Shelby, je ne puis vous rien offrir qui vous serve : de l’argent, on vous le prendrait ; mais je vous promets solennellement, et devant Dieu, de ne pas perdre votre trace, et de vous racheter dès que j’aurai amassé la somme nécessaire. Jusque-là, confiez-vous à la Providence. »
Les enfants crièrent alors que massa Haley venait. Un coup de pied ouvrit sans façon la porte, et le marchand apparut sur le seuil, de fort méchante humeur d’avoir passé la nuit à courir au galop sans avoir pu ressaisir sa proie.
« Allons, nègre, es-tu prêt ? Serviteur, madame, » dit-il en ôtant son chapeau à madame Shelby.
La tante Chloé ferma et corda la caisse ; puis, se redressant, elle lança au marchand un regard furibond, et ses larmes étincelèrent comme du feu.
Tom se leva pour suivre son nouveau maître ; il chargea la lourde caisse sur ses épaules. Sa femme, la petite Polly dans ses bras, se mit en devoir de l’accompagner, et les enfants, toujours en pleurs, trottinaient derrière.
Madame Shelby rejoignit le marchand, et le retint quelques minutes : tandis qu’elle lui parlait avec vivacité, la triste famille s’achemina vers un chariot attelé devant la porte. Tous les esclaves de l’habitation, jeunes et vieux, s’étaient rassemblés pour dire adieu à leur ancien camarade. Ils le respectaient comme l’homme de confiance du maître et comme leur guide religieux, et il y avait de grandes manifestations de douleur et de sympathie, surtout de la part des femmes.
« Eh ! Chloé, tu en prends ton parti mieux que nous ! dit l’une d’elles qui donnait libre cours à ses larmes, et que scandalisait le sombre et calme maintien de la tante Chloé, debout près du chariot.
– J’en ai fini de pleurer, moi , répliqua-t-elle en regardant d’un air fauve le marchand qui approchait, et, en tout cas, je ne donnerai pas à ce vilain démon le plaisir de m’entendre geindre !
– Monte, et vite ! » dit Haley à Tom, comme il traversait la foule des esclaves qui le suivaient d’un œil menaçant.
Tom monta ; Haley, tirant de dessous la banquette deux lourdes chaînes, les lui fixa autour des chevilles.
Un murmure étouffé d’indignation circula dans le cercle, et madame Shelby, restée sous la véranda, s’écria :
« Monsieur Haley, c’est une précaution tout à fait inutile, je vous assure.
– Peux pas
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