La case de L'oncle Tom
chez ses parents de l’État de Vermont ; Il y mena sa petite Évangeline, et parvint à persuader à sa cousine, miss Ophélia Saint-Clair, de venir s’établir près d’elle et de lui dans leur résidence du Sud. Il l’y conduisait, lorsqu’ils furent rencontrés sur le bateau par notre ami Tom.
Tandis que les dômes et les flèches de la Nouvelle-Orléans brillent encore à travers les vapeurs du soir aux yeux des passagers, faisons un peu connaissance avec miss Ophélia.
Quiconque a voyagé dans la Nouvelle-Angleterre se rappelle, au sein de quelque frais village, une grande ferme avec sa cour gazonnée, si propre, sous l’ombrage épais d’un érable à sucre. Ne lui souvient-il pas de cette atmosphère d’ordre, de paix, de pureté, de durée, d’immuable repos qu’on respire alentour ? Rien de perdu, rien hors de place, pas un pieu de travers dans les clôtures, pas un brin de paille oublié sur les tapis de gazon, pas un bouquet arraché aux lilas qui fleurissent sous les fenêtres. Au dedans sont de vastes pièces, tellement tranquilles et nettes, qu’il semble impossible que l’on y ait vécu, que l’on y agisse encore. Les meubles, mis en place, le sont une fois pour toutes ; et les arrangements domestiques suivent des révolutions périodiques, aussi ponctuelles que celles de l’horloge qui, de son coin, les règle et les surveille. Certes le voyageur n’oubliera pas le grand salon , comme on le nomme dans la famille, avec sa respectable bibliothèque vitrée, où l’Histoire de Rollin, le Paradis perdu de Milton, les Progrès du Pèlerin de Bunyan, et la Bible de Famille de Scott s’alignent côte à côte avec une suite de volumes, non moins solennels et non moins vénérables. Point de servante au logis. La maîtresse, avec son bonnet d’un blanc de neige, ses lunettes sur le nez, s’assied l’après-midi, causant au milieu de ses filles comme si jamais aucune d’elles n’eût mis la main aux vulgaires soins du ménage. C’est à une époque des plus reculées de la journée, pleinement oubliée depuis, que toutes ont dépêché l’entière besogne, et, à quelque heure que vous les rencontriez, l’ouvrage est terminé ; le plancher de la cuisine ne connaît plus ni tache ni souillure ; les ustensiles, les chaises, les tables n’ont jamais été salis ou dérangés, du moins serait-il impossible de le supposer : et pourtant on fait là trois et quatre repas par jour ; la lessive et le repassage de toute la famille se confectionnent là ; et là, par quelque procédé muet et mystérieux, se fabriquait d’énormes quantités de fromage et de beurre.
C’est dans une ferme semblable, au sein d’une famille de ce caractère, que miss Ophélia avait vu s’écouler doucement environ quarante-cinq automnes, lorsque son cousin l’invita à visiter sa résidence du Sud. Bien qu’elle fût l’aînée d’une lignée nombreuse, Ophélia, aux yeux des siens, n’était toujours qu’une « enfant ». L’idée de l’envoyer à la Nouvelle-Orléans parut prodigieuse à tous. Le vieux père, à cheveux blancs, sortit l’atlas de Morse de la bibliothèque ; il y chercha les latitudes et longitudes de cette contrée lointaine ; et pour s’édifier sur la nature du pays, il lut consciencieusement les voyages de Flint au Sud et à l’Ouest. La bonne mère demanda avec anxiété « si Orléans n’était pas une ville bien perverse ! » Pour son compte, elle aimerait autant s’exiler « aux îles Sandwich, ou dans n’importe quelle autre région païenne. »
Chez le ministre, chez le docteur, dans la boutique de miss Peabody, la modiste, se murmurait la grande nouvelle : Ophélia Saint-Clair ne parlait-elle pas d’accompagner son cousin à Orléans ! Le village entier ne pouvait mieux faire que d’aider à élaborer une question aussi complexe ; en conséquence, c’était à qui en parlerait. Le ministre, inclinant vers les abolitionnistes, craignait que ce pas, fort grave, n’encourageât les habitants du Sud à maintenir l’esclavage. Le docteur, vigoureux appui de la fédération, jugeait le départ de miss Ophélia nécessaire ; il était bon de prouver aux citoyens de la Nouvelle-Orléans, qu’au fond on ne pensait pas trop mal d’eux dans le Nord : les gens du Sud avaient vraiment besoin d’être encouragés. Quand, enfin, la décision prise entra dans le domaine public, Ophélia fut, pendant une quinzaine de jours, solennellement invitée,
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