La chambre du diable
parler.
Athelstan sortit une bourse de cuir de son écritoire.
Il l’ouvrit et fit tomber quelques petites graines
dures sur la table.
– Voici des pois de paternoster, expliqua-t-il. Nommés
aussi pois à chapelet. En latin, je crois que ça s’appelle Abrus precatorius. Maître Aspinall, j’aimerais que vous
en preniez un.
Le mire ne bougea pas, mains dans son giron.
– Allez ! le pressa Jean de Gand.
L’homme obtempéra en tremblant.
– Et à présent, mettez-le dans votre bouche.
– Est-ce du poison ? questionna Aspinall.
– Qu’allez-vous faire ? interrogea le
dominicain. Je veux dire quand vous l’aurez dans la bouche ?
– Je le casserai entre mes dents, répondit le
mire en déglutissant avec difficulté. Mais, mon père, de grâce, pour l’amour de
Dieu !
Athelstan sourit et récupéra la graine.
– Laissez-le, dit-il d’un ton uni. Mais, si vous
demeurez céans, maître Aspinall, je vous apprendrai quelque chose sur la
médecine. Sir John, amenez les deux prisonniers ici.
Pendant qu’ils attendaient en silence, Aspinall s’éloigna
du dominicain. Il y eut un bruit de pas dans le couloir et on fit entrer les
deux captifs dans la salle. Athelstan ramassa les pois, qu’il remit dans sa
bourse de cuir.
– Ah, messires, voulez-vous vous asseoir près de
moi ? Je veux porter quelques informations à votre connaissance.
– Sommes-nous en danger ? s’inquiéta Vamier.
– Pierre Vamier, Jean Gresnay, de grâce asseyez-vous.
Ce dernier s’exécuta avec humeur comme une jouvencelle
boudeuse. Vamier, le visage sombre et circonspect, s’installa sur le banc d’en
face. Sir John avait dû leur dire qui se trouvait dans la pièce mais, manifestement,
ils avaient décidé d’insulter Gand et ses hommes. Gresnay jeta un coup d’œil
méprisant au mire.
– Vous êtes marins, tous les deux, commença
Athelstan. Monsieur Vamier, d’où venez-vous ?
– Mes parents étaient originaires de Rouen. Mon
père possédait un bateau. J’ai combattu les Godons. Il m’a été aisé de capturer
leurs navires en mer et de mener des expéditions sur leur côte. Il est plaisant
de voir des villes, comme Winchelsea, dévorées par les flammes.
– Et vous, monsieur Gresnay ?
Gresnay eut un sourire affecté.
– J’ai été élevé près de la mer. Dans un petit
village, près de Montreuil. Mon père était un riche pêcheur. Les Anglois ont
coule son embarcation et on m’a appris deux choses : courir les mers et
tuer les Godons.
– Mais vous avez été capturés, persifla le
dominicain. Sir Maurice a envoyé un de vos navires par le fond et arraisonné l’autre,
ce qui explique pourquoi vous êtes ici, à Hawkmere.
– Certes, mais ce ne fut que par trahison, se
rebiffa Gresnay.
– Je ne crois pas, rétorqua Athelstan. Monseigneur
le régent veut bien jurer que c’étaient seulement les hasards de la guerre.
– Mensonge ! s’exclama Vamier.
– J’ai bien peur que non, monsieur, répondit Gand
d’un ton nonchalant. Vos bateaux ont été pris après un combat loyal et vous
êtes prisonniers céans parce que les Anglais vous ont vaincus.
– Alors pourquoi nous assassiner ? railla
Gresnay.
– Mais nul Anglais ne cherche à vous occire, expliqua
Athelstan. Vous comprenez, vous êtes marins, tous deux, et sans nul doute très
bons marins, cependant…
Il s’interrompit quand l’huis s’ouvrit et que l’un des
serviteurs portant la livrée du régent fit irruption. Il se pencha par-dessus
la table pour chuchoter quelques mots à l’oreille de son maître, qui fit alors
signe à Sir John.
– Il est là, annonça ce dernier.
– Dites-lui de patienter, répondit Athelstan. Nous
le verrons sous peu.
Le prêtre attendit que la porte soit refermée avant de
reprendre là où il s’était arrêté.
– Vous êtes donc tous deux marins, et sans doute
fort experts dans votre métier : vous savez orienter les voiles, scruter
le ciel et vous connaissez la mer. Vous êtes probablement de rudes combattants
prêts à aborder une cogghe anglaise, à voler sa cargaison et à abattre son
équipage. Que Dieu ait pitié de nous, soupira Athelstan, vous n’êtes point
différents de ceux qui vivent de l’autre côté de la Manche !
– Que voulez-vous dire ? cria Gresnay d’une
voix stridente.
– Ce que je veux dire ? Eh bien, que l’un d’entre
vous est un espion ! Oh, non pas à la solde du régent, ici présent, mais à
celle de la
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