La chapelle du Diable
répéta durement le
fiancé.
Les yeux brillants de colère contenue, Léonie brava Albert. La présence du curé
Duchaine lui remettait les esprits en place. Qu’ildemande à la
rencontrer était peut-être le signe qu’elle attendait.
— Y a pas grand-chose qui va m’empêcher d’aller voir monsieur le curé. J’aurai
juste à y aller demain matin ben de bonne heure si ça vous convient,
termina-t-elle en regardant le curé.
Celui-ci s’empressa de répondre.
— Ça me va fort bien, madame Rousseau.
Léonie en rajouta :
— Une future mariée a besoin de voir son curé… Vous êtes si pieux vous-même,
Albert, vous viendrez avec moi. Vous pourrez vous confesser aussi. On partira
après.
François-Xavier sourit. Il venait d’apercevoir la Léonie qu’il aimait, celle
qui avait fait don de ce sens de la répartie à sa femme.
Albert était piégé. Il maugréa :
— Si vous insistez, ma chère…
— C’est donc le meilleur des deux mondes, fit le curé, heureux.
Il mit son chapeau, s’avança vers la porte extérieure et hésita.
— Oh mon cher monsieur Rousseau, j’oubliais ! Il va falloir songer à construire
une galerie avant qu’un accident arrive. J’ai failli me casser le cou tout à
l’heure.
François-Xavier baissa le nez de honte. Léonie savait qu’il n’avait pas
l’argent pour ces travaux. Elle profita de la présence du curé et, s’adressant à
François-Xavier, elle lui dit :
— Ah ben, j’voulais justement vous faire un cadeau. Ça fait que demain, tu
viendras au village avec nous pis on va acheter tout ce qu’il faut pour en
construire une.
— Je pense pas que ce soit bien raisonnable, ma chère...
— Albert, si je décide de faire un cadeau à ma fille, je peux ben, non ? Le
magasin est encore à mon nom ! se fâcha Léonie, perdant toute prudence.
Son fiancé la toisa avec dureté. D’un air faussement aimable, il abdiqua.
— Bien entendu, Léonie. Bon ben si ça vous dérange pas, j’ai dela misère à digérer un peu, moi. J’vais aller m’étendre. Vous me ferez monter
une tasse d’eau chaude, ma chère Léonie, ordonna-t-il.
— Ben oui, mon cher. Vous avez la santé si fragile...
— C’est moé qui vas vous la monter, dit Marie-Ange. Pis je vas vous y mettre
une couple d’herbes qui font des merveilles pour les problèmes de bile.
— Tu parles de ta recette secrète ? demanda Julianna, de connivence.
— Ben oui, celle qui décrasse de toutes les mauvaises cochonneries qu’on a dans
le corps.
— Pour décrasser, ça décrasse, affirma Julianna.
— Ça va vous faire du bien, monsieur Morin, vous allez voir. J’vas vous en
préparer un bon gallon. J’pense que vous avez ben de la saleté en dedans. C’est
pas bon de garder tout ça...
— On vous reconnaîtra pus après notre traitement, continua Julianna. Venez vous
coucher.
Albert avait les yeux ronds comme des billes. La bouche ouverte, il regardait
tour à tour Julianna et Marie-Ange lui expliquer cette fameuse décoction. Le
curé dit au revoir et prit congé. Il avait fort bien compris les sous-entendus
des deux femmes et il se doutait très bien que monsieur Morin aurait fort à
faire le lendemain à la bécosse qu’il dédaignait tant. S’amusant, il courut sous
la pluie jusqu’au camion de Ti-Georges. Celui-ci l’attendait derrière le
volant.
Albert fronça les sourcils mais disparut à l’étage sans rien ajouter. Léonie
eut un drôle de rictus en le regardant monter l’escalier. Elle n’aurait pas dû
perdre patience. S’il fallait que celui-ci mette ses menaces à exécution. Elle
irait s’excuser. Demain, elle aurait une conversation avec le curé Duchaine et
ils repartiraient pour Montréal. Il fallait que son fiancé garde encore son
secret. Mais il tenait tellement à ce qu’elle l’épouse qu’il ne devrait pas y
avoir trop de danger pour le moment, se rassura-t-elle. Quand même, elle
toucherait un mot à Marie-Ange et l’empêcherait de concocter unetisane un peu trop purgative. Enfin, si jamais elle y pensait…
Julianna avait retrouvé toute sa bonne humeur. Elle cria aux enfants qui
étaient montés jouer à la cachette, en haut dans les chambres, de descendre afin
de laisser monsieur Morin se reposer. Les enfants dévalèrent l’escalier. Pour
les consoler d’avoir cessé leur jeu, elle leur en proposa un autre.
— Vous savez ce qu’on
Weitere Kostenlose Bücher