La chapelle du Diable
ou à n’importe qui à quoi on a joué ensemble, je te jure que le feu
de l’enfer va tomber sur votre maison et il va tous vous brûler... Tu as bien
compris ? Il va brûler ta mère, tout le monde ! Jure-moi que tu vas rien dire,
jamais !
— Je… je l’jure ! répondit d’une voix tremblante l’enfant.
— Si tu dis quelque chose, y va arriver quoi ?
— Le feu, y va toutes nous brûler...
— La peau va s’arracher de sur tes bras et de partout, comme quand ta tante a
plumé les lièvres hier...
Mathieu écarquilla les yeux. Il avait détesté voir le lièvre, ce petit animal
si beau, attaché la tête en bas, écartelé au dossier d’unechaise. Sa tante Marie-Ange, en chantant, avait fait de rapides entailles
puis, en partant du haut, avait retourné complètement la peau du lièvre, mettant
à nu un corps squelettique. Albert avait été témoin du dégoût de l’enfant tandis
que les femmes préparaient l’animal en prévision d’une tourtière.
— C’est ça... Ça va être notre secret... Bon astheure, va jouer et si on te
demande pourquoi t’as un drôle d’air, tu diras que t’étais resté caché pis que
personne t’a trouvé.
Le lendemain, le soleil brillait, presque narquois. Le ciel était d’un bleu
pur, sans aucun nuage. À la surprise de tous, monsieur Morin affichait une mine
splendide lorsqu’il pénétra dans la cuisine en cette heure matinale. Léonie
était venue lui parler la veille, le rassurant sur leur prochain mariage et lui
suggérant de refuser poliment la tisane préparée par Marie-Ange. De toute façon,
lui dit-il, il ne ressentait plus aucun malaise. Albert leur annonça son
intention de rester à la maison en fin de compte et de laisser sa fiancée aller
seule à son rendez-vous. Personne n’émit d’objection. Mais Henry se dépêcha
d’affirmer qu’il avait envie de se rendre au village lui aussi et de donner un
coup de main à François-Xavier. Marie-Ange, elle, s’empressa de proposer d’y
aller avec Léonie. Elle ne pouvait plus rester sous le même toit que la « face
de rat. » Elle voulait également participer aux frais occasionnés par les
travaux de rénovation. Son beau-frère était orgueilleux et refusait toujours son
aide financière. Grâce au curé Duchaine, il ne pourrait, cette fois, rien
trouver à y redire.
Julianna resta donc seule dans la cuisine avec le fiancé de sa mère adoptive.
Elle faisait presque pitié à voir lorsqu’elle dit au revoir au groupe qui
quittait la maison pour le village. Les enfants étaient encore tout ensommeillés
et descendaient un à un déjeuner en souhaitant le bonjour à monsieur Morin. Sauf
Mathieu. Quand Juliannaremarqua l’absence de son fils, elle
s’excusa à son invité et monta à l’étage. Mathieu était encore couché, les yeux
grands ouverts. Julianna, inquiète, s’assit sur le bord du lit et machinalement
mit une main sur le front de son fils.
— Ça va pas à matin, mon p’tit homme ? lui demanda-t-elle gentiment.
Mathieu répondit, les larmes aux yeux.
— J’ai mal au ventre...
— T’as peut-être trop mangé hier...
Julianna repoussa les couvertures de son fils et se rendit compte qu’elles
étaient mouillées. Elle s’étonna.
— T’as fait pipi au lit ? Ça t’était jamais arrivé !
Elle mit son fils debout dans sa jaquette détrempée et rapidement roula en
boule les draps. Elle en fit un tas et les descendit à la cuisine. Elle revint
avec une guenille mouillée. Elle s’apprêtait à aider son fils à retirer sa robe
de nuit quand tout à coup, elle vit le visage de celui-ci se transformer en
regardant vers le corridor. Julianna se retourna et fut surprise de voir
monsieur Morin dans l’embrasure de la porte. Il offrit un beau sourire à
Julianna.
— Je t’ai suivie, je voulais savoir si Mathieu se portait bien,
expliqua-t-il.
Julianna reporta son attention vers Mathieu tout en répondant :
— Il a un peu mal au ventre pis il a eu un petit accident.
Monsieur Morin s’avança vers eux.
— C’est des choses qui arrivent.
Albert plongea son regard dans celui de l’enfant. Il y lut la peur et sut que
Mathieu ne parlerait pas. Il fouilla dans sa poche et prit encore un peu
d’argent. Il mit les pièces dans la main de l’enfant et lui dit :
— Tiens, ça va aller mieux avec un petit cadeau. Mais tu le dis pas, c’est
notre
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