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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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raison. C’est quoi cette folie des femmes qui
     veulent changer l’ordre normal des choses ? Si le Bon Dieu avait voulu doter la
     femme de raison, il ne l’aurait pas créée inférieure à l’homme.
    Marie-Ange fulmina.
    — Comme si on était pas capables de raisonner !
    — Ma chère Marie-Ange, c’est la nature…
    — Pis Léonie qui dirige un magasin depuis des années, a fait ça comment si a
     pas de jarnigoine ?
    — Ah mais j’ai toujours été là pour voir à tout ! De toute façon,avec notre mariage, les choses vont enfin prendre leur place
     normale.
    — C’est-à-dire ?
    — Ma femme à la maison à s’occuper de tâches à sa hauteur.
    — Comme ?
    — Le ménage, les repas, le lavage… Enfin Marie-Ange, ce que toute femme peut
     faire !
    Henry intervint.
    — En 1911, il y a une femme qui a fait ses études d’avocat à Montréal. Annie
     Macdonald-Lagstaff... Oui je sais, c’est un drôle de nom... Toujours est-il
     qu’on est en 1935 et on ne lui accorde pas le droit d’exercer son métier.
    Monsieur Morin s’exclama :
    — Y manquerait juste des avocats en jupons ! On serait certains de
     perdre !
    — Ben moi, je la connais personnellement, ajouta Henry, sérieux, pis a vaut
     trois bons avocats à elle toute seule.
    Monsieur Morin regarda Henry comme s’il venait de dire la pire énormité.
    — Vous êtes pas sérieux ?
    — Mais oui…
    — Eh bien, vous êtes complètement fou ! Fou et irresponsable ! Imaginez le
     chaos si les femmes se mettent dans la tête de faire des jobs d’homme.
     C’est ridicule, n’est-ce pas monsieur le curé ?
    Mal à l’aise, le pauvre religieux chercha la réponse adéquate. Comment ne pas
     blesser les femmes présentes et calmer les hommes ?
    — Y est bien certain… que Dieu créa l’homme à son image et que…
    — Et la femme avec une côte d’Adam ! s’exclama Albert. Alors, vous voyez, des
     femmes, c’est pas grand-chose !
    — La Genèse dit, continua le curé, Dieu les créa femme et homme… moi je pense
     que ça veut dire égaux.
    — Savez-vous, commença Henry, que ce n’est que depuis 1929 que
     nos femmes canadiennes peuvent être appelées des personnes ?
    — Qu’une créature soit appelée par la loi une personne ou pas, ça change rien
     au fait qu’elles soient beaucoup moins intelligentes que les hommes !
    Marie-Ange regarda de travers le fiancé de Léonie. Elle bouillait de rage. Elle
     allait dire à cette « face de rat » sa façon de penser…
    — Monsieur Morin, commença-t-elle la voix empreinte de colère, vous…
    Julianna qui désespérait que sa fête ne soit un échec complet donna un coup de
     coude à sa sœur. Marie-Ange se contrôla et retint pour elle la suite peu aimable
     de sa phrase. À la place, elle poursuivit :
    — … vous reprendrez ben un petit sucre à crème ?
    Il fit signe que non, mais le curé, cette fois, s’empressa d’accepter la
     friandise et décida d’orienter le sujet sur une voie moins dangereuse. Il
     s’adressa à François-Xavier.
    — Alors mon fils, votre vie à Saint-Ambroise vous plaît ?
    — C’est toujours ben mieux que Montréal, vous savez, répondit celui-ci.
    François-Xavier trouvait cette journée interminable. Il n’avait fait que rêver
     à sa fromagerie. Cependant, il se sentait tiraillé. Monsieur Morin lui faisait
     miroiter une association, mais elle était conditionnelle à son mariage avec
     Léonie, et François-Xavier se rendit compte que cela lui était beaucoup plus
     difficile à accepter qu’il ne l’aurait cru. Il ne pouvait s’empêcher d’imaginer
     son père adoptif, là, assis aux côtés de sa femme, souriant, heureux comme un
     roi, couvant Léonie de doux regards. Au lieu de cela, monsieur Morin pérorait et
     voulait se montrer intéressant. Il avait regardé sa maison comme si c’était le
     pire des taudis et il se plaignait du matin au soir des conditions difficiles et
     archaïques qu’il devait subir. Il avait mal dormi, à l’étroit dans le lit de
     Pierre, les enfants étaientmal élevés et bruyants, aller à la
     bécosse était complètement dégoûtant, sans compter qu’il traitait les femmes de
     la maison, y compris Léonie, comme de vulgaires servantes. « Léonie, ma chère,
     mon thé est trop froid, mon thé est trop chaud, mon thé est trop sucré, pas
     assez... » François-Xavier se retenait de le prendre au collet et de le pousser
    

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