La chapelle du Diable
jeune fille ne s’était pas mariée par choix.
— Pis les grands-parents d’Augustin, monsieur pis madame Belley ? Y le voient
pas ben ben grandir cet enfant-là.
— Je... j’ai pas vraiment envie de les voir eux autres itou y faut croire.
J’sais que c’est pas chrétien, Julianna, mais c’est vous autres ma vraie famille
astheure.
Gênée, Rolande décida de changer de sujet.
— Y est beau, hein, le camion à Ti-Georges ?
— Le camion ?
— Ben oui, j’pensais jamais être fière comme ça. Mon Ti-Georges, y commence à
être quelqu’un à Saint-Ambroise.
— Tu sais, Rolande, tu rends mon frère ben heureux. J’te remercie ben gros pour
ça.
— Ben voyons donc Julianna ! Me remercier de donner du bonheur à mon mari.
C’est à ça que je sers, voyons ! Monsieur Morin avait raison tantôt. On devrait
pas chercher à faire autre chose. C’est ça qu’on nous enseigne en tout cas,
rendre notre mari pis nos enfants heureux. Tu penses pas comme ça toé,
Julianna ?
La femme blonde pensait surtout qu’elle aurait aimé être
professeur de chant. Elle aurait fait un bon travail…
— Des fois, j’trouve qu’on s’oublie trop, nous autres les femmes. Marie-Ange
dit qu’y faut qu’on fasse changer les choses.
— C’est pas bon qu’une femme veuille être avocat comme un homme. Une femme,
c’est fait pour faire des enfants, non ? Y a pas personne d’autre que nous
autres pour ça.
— Quand je pense que ça fait rien que six ans que la loi dit qu’on est des
personnes… J’en reviens pas !
— Moé, j’ai pas compris ce que l’avocat a dit. Si on était pas des personnes,
on était quoi ?
— Pas grand-chose si tu veux mon avis… Pis j’pense qu’on est pas grand-chose
encore... On est rien qu’un ventre pour faire pousser les bébés pis des seins
pour les nourrir.
— Julianna ! s’offusqua la jeune Rolande en rougissant devant les mots crus de
sa belle-sœur.
Julianna sembla se souvenir à quel point la deuxième épouse de son frère était
jeune.
— T’as ben raison de me chicaner, ma Rolande. Attends, j’vas recoucher mon Léo
pis j’vas aller te chercher un morceau de pain. Y faut jamais que tu restes
l’estomac vide, jamais. Tu devrais toujours te traîner quelque chose à manger
dans les poches de ton tablier.
— Merci ben gros, Julianna.
Rolande eut une plus grosse nausée et se mit à vomir dans le plat. Julianna lui
tint la tête en espérant presque que ce soit un garçon, ce bébé. Donner la vie à
une fille n’était pas un cadeau à lui faire…
Elle revint seule au salon et expliqua que Rolande ne se sentait pas bien et
qu’elle s’était allongée un peu.
Le curé en profita pour prendre congé.
— Je vous remercie beaucoup, madame Rousseau, pour votre invitation. Ce fut
bien agréable mais y faut jamais abuser des bonnes choses.
Tout le monde se leva pour saluer cet invité de marque.
Julianna alla lui chercher son chapeau et son parapluie. Ti-Georges déclara
qu’il irait le reconduire dans son camion jusqu’au presbytère. Avec gratitude,
le curé accepta. Il se tourna vers Léonie.
— Ma bonne madame Rousseau, dit-il en prenant affectueusement la main de
celle-ci, j’aimerais bien que vous passiez me voir avant de repartir pour votre
lointain Montréal !
— Avec plaisir, curé Duchaine. J’voulais justement me confesser pis vous
demander votre avis sur... sur... enfin quelque chose de personnel.
— Je pense pas qu’on va avoir le temps, très chère, intervint monsieur
Morin.
Ah non ! si Léonie croyait lui échapper… Il ne fallait pas qu’elle parle à ce
curé !
— Je vous l’ai pas dit encore, mais j’ai décidé de prendre le train de demain
au lieu de celui de samedi, ajouta-t-il.
Julianna venait de revenir avec les effets du curé. Elle s’étonna :
— Quoi, ben voyons donc marraine, vous étiez supposés rester au moins toute une
autre semaine !
— C’est que monsieur Morin voudrait repartir avant, ma fille, répondit
Léonie.
— Mais quand le curé demande à voir une de ses ouailles, il serait bien mal vu
qu’on lui refuse ça, dit le prêtre avec un air de reproche à l’intention
d’Albert.
Celui-ci ne se laissa pas démonter.
— On en a des curés à Montréal, des bons.
Léonie se rebiffa :
— Albert !
— Léonie, j’ai dit que je voulais repartir demain,
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