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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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Morin ?
    — C’est ben certain que c’est pas un homme que j’porte vraiment dans mon cœur,
     mais y fait juste amener la moitié de l’argent.
    — Pis l’argent pour les bottes des enfants ? Pis pour mon piano ? Je suppose
     que tout va passer pour la fromagerie !
    — C’est pour ça que chus resté plus longtemps chez les trappistes. On va
     pouvoir chausser les enfants ben comme y faut. Mais pour ton piano, y faut pas y
     penser.
    — C’est pas grave, François-Xavier... dit Julianna avec un air détaché.
    Elle alla appeler les enfants. Ils se coucheraient quinze minutes plus tôt ce
     soir.

    Léonie se laissa emmener par la main comme une enfant au salon. John choisit la
     causeuse et s’installa à ses côtés.
    D’une petite voix, elle supplia John de lui expliquer ce qui se passait.
    L’homme dénoua sa cravate. Il était las tout à coup. Il n’était plus très
     jeune. Certains le voyaient comme un vieillard. Pauvre Léonie,elle semblait bouleversée ! Il prit le temps de la détailler. Elle avait
     quelques années de moins que lui et pour son âge, elle était restée belle
     femme ! Il ne savait trop à quoi s’attendre. Il était agréablement surpris de
     voir une taille encore fine, des seins encore galbés et hauts. Il étira ses
     pieds devant lui. Il se rappela l’instant où il avait posé les yeux sur elle, à
     cet hôtel de Roberval. Cette petite femme de chambre lui avait tourné les sens.
     La passion qui l’avait soudain pris était inexplicable. S’il avait pu être
     libre, il l’aurait épousée la minute suivante. Lorsqu’il était à Montréal, elle
     le hantait et il devait se dépêcher d’aller la retrouver à Roberval sous peine
     de se consumer. Il aurait été prêt à n’importe quoi pour la garder toute à
     lui.
    Il se pencha vers Léonie et lui reprit les mains. Tendrement, il lui dit à quel
     point elle était encore jolie. Léonie eut un mouvement de recul.
    — Ma belle du lac... Quand tu vas tout savoir... Listen to me.
    Et John raconta ses trente-trois dernières années. Il commença par son retour
     aux États-Unis en 1904. Après l’avoir quittée, pendant dix ans, il avait vécu
     avec une épouse qu’il n’aimait pas et chaque nuit, ses rêves n’avaient été que
     pour elle. Il aborda le sujet de la guerre et de son engagement militaire et son
     visage se transforma. Léonie y lut la souffrance. Il lui affirma que même loin
     de son pays et du Canada, caché dans des tranchées, de 1914 à 1918, ses pensées
     furent pour elle… Après la guerre, la grippe espagnole avait frappé et l’avait
     retenu prisonnier à Boston. Il décrivit cette terrible maladie qui avait emporté
     tant de gens, un de ses enfants, sa mère. Il lui confia la crainte d’être jeté
     encore vivant dans une fosse commune, écrasé sous des membres bleus, gris, des
     cadavres empilés. Le pire des ennemis se cachait derrière une simple poignée de
     main, une toux, un baiser et sévissait un peu partout sur la planète, au Québec
     aussi. John lui jura que ses prières n’avaient été que pour elle, pour qu’elle
     soit épargnée... John parlait et parlait, Léonie se contentant d’écouter.
     L’homme avait l’impression d’enfin pouvoir évacuer des années de tourmente loin
     de celle qui possédait soncœur. De toute sa vie, il n’avait eu
     que cette femme dans la peau. Et ce à quoi il aspirait le plus maintenant,
     c’était de finir sa vie à nouveau dans ses bras, qu’elle lui tienne la main
     lorsque la mort viendrait le prendre… pour que son dernier souffle ne soit que
     pour elle.
    Oh, Seigneur Dieu ! Léonie était si troublée par les déclarations de John !
     C’était cela le pire, pire que d’apprendre la vérité sur Albert, son hypocrisie,
     ses vices... Pire que d’apprendre que toutes ces années de culpabilité, elle les
     avait vécues pour rien. Il avait toujours su pour Julianna, il l’espionnait.
     Non, le pire, c’était que ses mots d’amour la troublaient...
    Il l’attira à lui et la chaleur de son corps la remua. Elle avait tant besoin
     qu’on la prenne dans ses bras, qu’on prenne soin d’elle… Cela serait bon de se
     laisser couler au creux de cet homme et de le laisser prendre sa vie en main,
     afin qu’elle n’ait plus à penser, plus à affronter quoi que ce soit, qui que ce
     soit. Cependant, Dieu, dans sa miséricorde, lui vint encore une fois en aide.
     John lui avait

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