La chapelle du Diable
frais du matin, elle laissa tomber le gant sur le dessus
de sa commode et prit sa brosse à cheveux. Malgré elle, elle revit Ernest lui
prendre des mains cette même brosse et la transformer en un instrument de
caresse lors de leur nuit de noces. Ernest... Si elle n’avait pas rencontré
John, son mari serait encore en vie... Léonie fit un effort et ferma son esprit
à ses pensées. Elle était jeune et elle avait dansé avec le diable. Tout ce qui
arrivait était sa faute... Elle lissa ses cheveux en un chignon serré qui lui
rappela celui de mademoiselle Brassard. Dans sa lettre à cette dernière, Léonie
lui affirmait qu’elle ne lui tenait pas rancœur. Le diable a tantde visages… celui de l’amour parfois. Elle l’informait aussi que La belle du
lac fermait ses portes définitivement. Elle s’habilla, choisissant sa robe
noire, celle des jours de deuil, et l’enfila. Elle ouvrit son coffret à bijoux,
retira son jonc de mariage qu’elle portait encore malgré son veuvage et le mit
dedans. Elle se voulait dépouillée. Du bout des doigts, elle fouilla dans la
boîte. Que de menus objets gardés en souvenir au cours des années. Elle sourit
en prenant dans le creux de sa paume une petite roche rosée. Elle venait du bord
du lac Saint-Jean. C’était Ti-Georges qui la lui avait offerte. Elle se
promenait sur la plage, avec son neveu de cinq ans, c’était le printemps... Le
printemps de la mort d’Anna. Elle rejeta le trésor et se demanda si Ti-Georges
suivrait son conseil et s’il pardonnerait à son fils Jean-Marie comme elle l’en
implorait dans sa lettre. Elle referma le couvercle, ramassa son sac à main, le
paquet de missives et sortit lentement de sa chambre.
Elle s’assura que tout était en ordre dans la cuisine. Elle eut un regard
tendre en remarquant les dentelles que Marie-Ange avait mises sur chaque
tablette pour faire plus joli. Partout, on reconnaissait son empreinte. Sa nièce
avait décidé que la pièce manquait de gaieté et elle avait peint sur chaque
armoire une délicate fleur violette. Puis elle avait confectionné de nouveaux
rideaux à partir d’un tissu à carreaux que Léonie trouvait franchement laid.
Elle imaginait la surprise de Marie-Ange lorsqu’elle découvrirait dans sa lettre
que sa tante lui faisait don de la maison montréalaise. Les clés seraient chez
le notaire. Elle alla au salon et pianota quelques notes discordantes. Elle
n’avait jamais appris à jouer. Ah ! sa Julianna... sa merveilleuse fille
adoptive. Léonie avait longuement pesé ses mots en lui écrivant. Elle voulait
tout lui avouer, en détail, puis elle se dit qu’il valait mieux ne pas la
troubler. Elle lui parla plutôt de la perte de son bébé, lui dit qu’elle
comprenait sa peine et la consola comme si elle avait été auprès d’elle. Elle
avait entendu son appel au secours et même si elle ne serait plus là de corps,
son amour l’engloberait pourtoujours… Elle lui parla d’Anna, sa
vraie mère, et lui rappela que la mort ne sépare pas ceux qui s’aiment.
Léonie prit une grande respiration. Sur la tablette du bas de la bibliothèque
de chêne, près de la fenêtre, elle prit un grand album. Elle l’ouvrit et
parcourut les photographies qui y étaient soigneusement insérées. Anna et
Alphonse, Ti-Georges et ses frères et sœurs, Marie-Ange jeune adolescente,
Julianna en robe de première communion, Julianna lors d’une représentation
musicale... Ernest et François-Xavier posant avec fierté devant leur fromagerie,
Ernest et elle, à leur mariage... Brusquement, elle délaissa ces souvenirs de
papier et alla ramasser un morceau de tissu gris qu’elle venait d’apercevoir
sous un des fauteuils. Elle reconnut un des gants appartenant à Albert. Il avait
dû l’échapper. Elle alla devant le foyer et y alluma un feu. Dans les flammes,
elle jeta l’accessoire. Que les feux de l’enfer brûlent la dernière trace de
cette bête…
Julianna apporta une tasse de café à son mari et la déposa sur la table.
Celui-ci, penché sur les plans de la fromagerie, la remercia d’un air
absent.
Elle s’approcha.
— Chus en train de mourir d’inquiétude, François-Xavier, lui dit-elle. Y faut
faire quelque chose !
François-Xavier releva la tête.
— Ben non Julianna, essaie de pas trop t’en faire…
— C’est pas normal ! reprit-elle. Il est arrivé de quoi
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