La chapelle du Diable
à marraine, j’en suis
certaine !
— Allons, calme-toé… Y doit y avoir une explication.
— Retourne au village pis téléphone encore ! le supplia Julianna.
— J’réussis pas à joindre personne… Ça répond pas au magasin ni nulle
part…
— Appelle Henry !
— Mais oui, j’irai demain…
François-Xavier porta sa tasse à ses lèvres. Julianna se mit à faire les cent
pas.
— J’pensais que marraine était en route pour icitte comme je lui avais demandé
dans ma dernière lettre, mais a serait arrivée depuis longtemps… Chus certaine
qu’y est arrivé quelque chose de grave.
— C’est vraiment étrange cette histoire, fit remarquer François-Xavier. En
plus, il faut absolument que je rejoigne monsieur Morin.
— On s’en fout de monsieur Morin ! s’exclama Julianna en s’arrêtant de
marcher.
— Si j’commence pas la construction de la fromagerie tout de suite, j’vas
prendre trop de retard…
Julianna éclata.
— Ta maudite fromagerie ! J’en peux pus de t’entendre me casser les oreilles
avec ça à longueur de journée ! Y a rien que ça qui compte pour toi ! J’en peux
pus, tu comprends-tu, François-Xavier Rousseau, chus pus capable ! Ma marraine
est peut-être morte pis toi tu penses à ta maudite fromagerie !
— Julianna...
En colère, la femme alla prendre les esquisses de la fromagerie, étalées sur la
table de la cuisine. D’une main rageuse, elle se mit à déchirer les plans.
— Julianna ! Qu’est-ce que tu fais ? Arrête ! Julianna ! s’interposa
François-Xavier.
Sa femme lui jeta les morceaux à la figure.
— Tiens, ta précieuse fromagerie !
— Julianna ! Calme-toé !
— Non j’me calmerai pas ! J’t’écœurée de la vie que tu me fais mener icitte !
J’t’écœurée que les enfants soient plus pauvres que tout le monde, qu’on mène
une vie de misère !
— C’est pas ma faute calvaire ! sacra François-Xavier en
ramassant les bouts de papier, essayant de reconstituer les plans.
— Oui c’est ta faute ! Tu m’avais promis de me rendre heureuse !
— Je fais mon possible ! cria-t-il. C’est la compagnie qui a toute inondé pis
le gouvernement qui s’en est mêlé ! On en aurait de l’argent !
— C’est pas la compagnie qui te force à être marabout les trois quarts du
temps ! C’est pas la compagnie qui t’empêche de me prendre dans tes bras, de me
consoler, d’être là avec moé quand notre bébé est mort… C’est Ti-Georges qui l’a
enterré je sais pas où ! On lui a même pas donné de nom !
Julianna s’écrasa par terre, se tenant le ventre à deux mains, pleurant à
chaudes larmes. Elle répéta :
— On lui a même pas donné de nom…
François-Xavier resta sidéré un moment. Il laissa retomber les bouts de dessin
et s’approcha de sa femme. Il s’accroupit auprès d’elle.
— Amédée, souffla-t-il.
— Quoi ? fit Julianna en reniflant.
— Moé, mon fils, je l’ai appelé Amédée…
— Amédée…
Gentiment, il repoussa une mèche de cheveux blonds qui s’était collée sur une
joue mouillée de larmes.
— Oui, pis on va aller lui faire une croix pis l’enterrer comme du monde,
ensemble.
— Pis on va lui faire une oraison ?
— Oui, viens, lève-toé, mon amour…
— Je m’excuse pour la fromagerie… Tu as travaillé si fort.
— J’les connais par cœur… Je pourrais la construire les yeux fermés. Les
enfants vont rentrer, faut pas qu’y te voient dans cet état-là.
— J’avais écrit à marraine pour qu’a vienne me trouver. Chus certaine qu’est
morte, François-Xavier, je le sens…
— Ben non, voyons… Léonie va retontir pis on va comprendre ce qui s’est
passé.
— Tu penses ?
— Ben oui, fais-moé confiance un peu…
À genoux devant la flamme, Léonie fixa le tout se consumer. Elle se releva,
reprit ses lettres et se dirigea résolument vers la porte d’entrée. La vision de
John lui revint en mémoire. Elle l’entendit, la veille, lui jurer qu’elle allait
se remarier avec lui. Elle imagina facilement la déconvenue de l’Américain quand
il se rendrait compte qu’elle lui avait filé entre les doigts. Tout semblait
clair maintenant. Après des mois passés dans les ténèbres, la lumière divine
éclairait son chemin.
« Oh oui, j’vas me remarier... mais avec vous, Seigneur. Je serai une épouse
fidèle
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