La chapelle du Diable
yeux, il n’y avait qu’un
voile rouge de colère. Pierre ne se rendit pas à la maison mais alla directement
au presbytère et demanda à voir le curé de toute urgence. Celui-ci accueillit
avec étonnement ce jeune garçon au visage crispé qui tenait à la main une
baguette de bois cassée.
— J’ai battu la maîtresse.
— Quoi ?
— J’ai battu la maîtresse, monsieur le curé.
On raconta qu’on avait vu le curé relever sa soutane si haut afin de courir
plus vite vers l’école que bien des parties privées de son anatomie avaient vu
la lumière du soleil. Il y eut bien des rumeurs dans le village. On dit qu’on
avait retrouvé mademoiselle Potvin à moitié morte et qu’elle avait été battue
avec une pelle. Des enfants jurèrent que de la boucane sortait des oreilles d’un
Pierre possédé tandis qu’il frappait l’institutrice. Une chose était sûre,
c’était que plus jamais mademoiselle Potvin ne fit la classe. Elle déménagea on
ne sait où, ramenant avec elle une vilaine cicatrice à l’arcade sourcilière.
Elle dirait à ses connaissances qu’elle avait frappé un mur. Une nouvelle
institutrice la remplaça à pied levé mais émit une condition. Que ce dangereux
de Pierre Rousseau ne remette pas les pieds dans sa classe. De toute façon, le
jeune garçon n’y serait jamais retourné pour tout l’or du monde. Après être
accouru à l’école, le curé Duchaine s’était rendu immédiatement à la maison des
Rousseau et avait eu une grande discussion avec Julianna. Celle-ci se
morfondait, ayant été mise au courant par Yvette et Mathieu qui lui avaient
raconté unehistoire décousue, entrecoupée des pleurs de sa
Laura. Elle avait envoyé Marie-Ange chercher François-Xavier qui travaillait
chez Ti-Georges. Julianna avait été soulagée quand elle avait vu le curé
escorter un Pierre à l’air contrit. Son fils avait raconté toutes ces années
d’école pendant lesquelles mademoiselle Potvin le punissait et le ridiculisait
sans cesse. Yvette confirma que mademoiselle Potvin n’avait jamais touché à
Mathieu ni à elle. C’était Pierre qui recevait les volées. Choquée, Julianna
n’en revenait pas d’apprendre les mauvais traitements infligés à son fils. Elle
savait la maîtresse dure, mais jamais à ce point. Indignée, Julianna eut envie
de se rendre sur le champ à l’école affronter, face à face, cette affreuse femme
qui avait osé toucher à son fils et traiter une fillette avec tant de méchanceté
et… Le curé la calma et lui assura qu’il aurait une sérieuse discussion avec
mademoiselle Potvin. Le curé se tourna vers Pierre et voulut savoir exactement
ce qui s’était passé au cours des derniers jours. Pierre résuma la dernière
semaine, détaillant le tourment de Laura. Laura ajouta : « la maîtresse, a
l’était pas fine même si ze levais ma main deux fois ! » Le curé prit la petite
fille sur ses genoux et regarda le bleu qu’elle affichait sur ses jambes. Pierre
essaya d’expliquer que quand la maîtresse avait commencé à frapper Laura, sa
petite sœur si fragile, qui avait été si malade bébé, que le frère André avait
guérie, c’était comme si un gros nuage rouge l’avait enveloppé. Il ne voyait
plus rien d’autre que cette sorcière et il ne savait pas s’il aurait pu
s’arrêter si la règle ne s’était pas cassée et… Pierre se mit à trembler, les
larmes aux yeux. Le curé lui mit une main réconfortante sur l’épaule.
François-Xavier arriva et Julianna reprit l’histoire. Il resta silencieux. À
son tour, il n’eut qu’une envie : aller dire sa façon de penser à cette
mademoiselle Potvin. Le curé Duchaine éleva le ton. Il comprenait la colère des
parents envers l’institutrice pour son comportement indigne. Mais il ne pouvait
la tolérer. Il répéta qu’en tant que curé de la paroisse, c’est à lui que
revenait le devoir de régler la situation. Cela n’enlevait rien au fait que
Pierre devait être puni. Il avaitlevé la main sur sa maîtresse.
C’était très grave et peu importe toutes les bonnes raisons que l’enfant croyait
détenir, cela était inadmissible. François-Xavier en convint. Il s’éloigna avec
le prêtre afin de discuter de la sanction. François-Xavier confia au curé
Duchaine à quel point il se sentait coupable de ne pas être intervenu avant. Il
n’avait
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