La chapelle du Diable
Laura tandis qu’Yvette déclarait qu’un jour, sa
maîtresse pourrait s’étouffer avec sa craie. Mathieu se contenta de sourire
tristement à sa petite sœur. Delphis dit qu’il avait peur de mademoiselle
Potvin, que c’était une folle. Sophie approuva et Samuel donna un bec sur la
joue de Laura. On la rassura et on lui promit que tout s’arrangerait, qu’il ne
fallait pas qu’elle s’en fasse, ce n’était que son premier jour de classe, que
les autres seraient différents. Mais toute la semaine, ce fut le même manège ou
presque. La maîtresse faisait semblant de ne pas voir Laura demander la
permission d’aller se soulager. Ne pouvant plus se retenir, celle-ci urinait sur
son banc. Elle se voyait forcer de laver le plancher et de rester sale toute la
journée. Le vendredi, Pierre aurait hurlé de rage. Du fond de la classe, il
lançait des regards meurtriers à sa maîtresse tandis qu’elle ridiculisait sa
petite sœur à cause de son défaut de langage. Laura venait de répondre : « Ze le
sais pas, mademoiselle » à une question, et la femme l’avait imitée en répétant
sa réponse. Plus tard, ce vendredi après-midi, Laura leva la main deux fois.
Mademoiselle Potvin ignora la demande de la fillette et Laura s’échappa à
nouveau. Quand la vieille fille s’en rendit compte, au lieu de son habituel
mouvement d’exaspération en désignant la serpillière du doigt, elle courut
jusqu’au pupitre de Laura. Elle l’attrapa par l’oreille et la tira violemment
jusqu’à son bureau, la faisant presque trébucher en montant sur l’estrade. Laura
grimaçait de douleur. Pierre se tenait à deux mains à son pupitre. Ne lâchant
pas la fillette, de sa main libre, la maîtresse prit sa grande règle de bois et,
l’élevant dans les airs, de sa voix aiguë, lui dit :
— J’ai été patiente avec toi, Laura Rousseau, mais là tu vas recevoir la
correction que tu mérites.
D’un grand coup sec, elle abattit le morceau de bois sur les jambes de Laura
qui s’agenouilla sous la douleur. La méchante femme ne lâchait
toujours pas l’oreille de la pauvre enfant, ce qui la fit crier encore plus.
Alors que la maîtresse s’apprêtait à frapper de nouveau, tout à coup, venant du
fond de la salle, Pierre fonça sur elle et lui prit la règle des mains en
criant :
— C’est assez !
Médusée, mademoiselle Potvin se redressa, libérant enfin la petite fille.
Pierre poussa Laura vers son autre sœur et ordonna :
— Yvette pis Mathieu, allez vous-en à la maison tout de suite avec elle.
Laura s’était jetée en pleurant dans les bras d’Yvette. Mathieu se leva de sa
place, prit ses sœurs par la main et obéit à Pierre. Ils sortirent en courant de
l’école.
— Pierre Rousseau, redonne-moi ma règle tout de suite, dit la maîtresse en
reprenant contenance.
Au lieu d’obtempérer, Pierre poussa de toutes ses forces le pupitre derrière
lequel mademoiselle Potvin essayait de se mettre à l’abri et le fit basculer en
un grand bruit sourd. Autour, les cahiers s’éparpillèrent, les livres tombèrent
à l’envers. L’encrier se cassa. Pierre se retrouva le visage maculé de taches
noires tel un guerrier indien prêt à la bataille. C’est d’ailleurs d’un air
sauvage qu’il se tourna vers le reste de la classe.
— Sortez d’icitte ! aboya-t-il. Envoyez, Delphis, Sophie, Samuel, restez pas
icitte, allez-vous-en, tout le monde ! Sortez !
Ce fut le brouhaha pendant un moment, les garçons et les filles se bousculant
pour sortir les premiers, effrayés de la terrible colère de Pierre. Furieux, le
garçon reporta son attention sur sa maîtresse qui, apeurée, avait reculé
jusqu’au tableau.
— T’es rien qu’une criss de folle, lui murmura-t-il les dents serrées. Tu nous
as assez fait manger d’la marde, là, c’est à ton tour.
Enragé, Pierre se mit à frapper l’institutrice à coups de règle sur le dos, les
bras, la tête, partout où il pouvait l’atteindre. Le morceau de bois éclata
finalement. Pierre cessa l’attaque, haletant. Il regardad’un
air méprisant la femme recroquevillée qui pleurait par terre et sans plus un mot
quitta la classe. Il passa sans les voir devant quelques enfants qui, curieux,
étaient restés sur le pas de la porte, pour être témoins de la scène. Il ne sut
même pas comment il avait trouvé la sortie. Devant ses
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