La chapelle du Diable
pas droit de regard dans les affaires d’école… Il ne croyait pas que
c’était si grave. Pierre avait gardé le silence sur les sévices qu’il
subissait.
— Tout cela est bien malheureux, se désola le curé.
— Cette femme a pas la vocation, monsieur le curé, dit François-Xavier.
— Peut-être bien. Cependant, Pierre a posé un geste fort répréhensible.
— Chus toujours ben pas pour le battre à mon tour ! s’écria-t-il. J’ai jamais
levé la main sur un de mes enfants, monsieur le curé. Je commencerai pas
aujourd’hui.
— Pierre doit être puni, réaffirma le curé Duchaine.
François-Xavier prit une grande respiration.
— Je vais m’en occuper… affirma-t-il.
D’un air déterminé, le père revint vers son fils. Le cœur battant, Pierre
attendait le verdict.
La mâchoire crispée, François-Xavier toisa un moment son aîné avant de lui
ordonner de venir avec lui. Avec résignation, Pierre suivit son père jusqu’à la
grange. Julianna voulut intervenir. Le curé Duchaine l’en empêcha.
— Rentrez donc à la maison avec vos filles madame Rousseau. Votre mari sait ce
qu’il a à faire.
Julianna lança un regard courroucé à l’homme en soutane. Jamais elle ne
pardonnerait à François-Xavier d’avoir frappé Pierre, jamais !
François-Xavier tint sa promesse. Il s’occupa de punir son fils… mais à sa
manière. Une fois dans la grange, sans un regard pour son fils, il s’était
dirigé d’un pas ferme vers le mur du fond. Il y décrocha le fusil de chasse,
prit la boîte de cartouches posée sur le rebord d’un montant de bois et revint
vers Pierre. Il lui tendit le tout.
— Tiens, charge-le.
Pierre prit les munitions et hésita. Il n’avait jamais eu le droit de toucher
l’arme auparavant, son père le considérant trop jeune encore.
— Prend le fusil pis va achever ta maîtresse ! lui ordonna son père. Y a pas de
danger qu’il casse comme la règle de bois.
— Non… balbutia Pierre en secouant la tête de gauche à droite, choqué par les
paroles de son père.
— Ça va être facile, dit François-Xavier d’une voix sourde.
— Non, papa… Je vous en prie… Je veux pas le faire.
— Regarde-moé, Pierre.
L’enfant s’était exécuté.
— Je sais que t’as voulu défendre ta sœur, reprit le père. On a beau penser
avoir la meilleure raison du monde, on choisit pas la violence. Que t’utilises
un bout de bois, tes poings ou un fusil, tu es responsable de tes choix. Tu
comprends-tu ?
En sanglotant, Pierre fit signe que oui.
François-Xavier adoucit son ton.
— Y a pas un animal qui blesse ou tue par colère. Tu es entré dans cette grange
en enfant qui savait pas. Tu vas ressortir quand tu seras devenu un homme qui
sait choisir.
Emportant l’arme avec lui, François-Xavier se dirigea vers la sortie. Avant de
quitter son fils, il ajouta :
— Tu prendras le temps qu’il faudra. Je veux pas te voir avant.
Pierre passa une semaine enfermé dans la grange. Yvette venait
lui porter ses repas en silence. Elle n’avait pas le droit de lui adresser la
parole. En fin de compte, cette réclusion se révéla une bénédiction. La solitude
forcée lui permit de méditer sur la rage incontrôlable qui l’avait habité. Le
premier jour, il avait passé par toute une gamme d’émotions. Il avait sangloté
de honte, s’était révolté d’être enfermé, s’était apitoyé sur lui-même en
trouvant injuste d’être ainsi puni. La première nuit, il ne dormit presque pas.
La noirceur, les bruits inconnus, la peur le tinrent éveillé. Les jours
suivants, il accepta de plonger en lui et de réfléchir profondément aux
événements. Les paroles de son père tournaient dans sa tête. À la quatrième
nuit, il bascula dans le monde étrange et symbolique des esprits. Peu de
personnes se risquent dans cet univers ne voulant pas voir leur âme à nu. Pierre
y voyagea et il fit la rencontre de ses guides spirituels. Il se promit de
devenir maître de lui-même. Il commencerait par corriger sa timidité. Il fit le
point sur ses cheveux roux et sa cicatrice. Il décida qu’il arborerait fièrement
sa singularité. Il apprivoiserait ses peurs. Il craindrait encore le noir mais
saurait que le jour vient toujours…
Pierre sortit de la grange profondément changé. Comme il n’allait plus à
l’école, il se mit à suivre son père partout. Pierre
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