La chapelle du Diable
à colmater le lendemain ou un
étage à ajouter ou à recommencer après avoir trouvé leur monticule tout écrasé
par la force de l’eau qui refusait de se laisser dompter par trois gamins
effrontés. Pierre eut la permission de dormir chez son parrain et il passa le
plus clair de son temps là-bas. Il aidait sa tante Rolande, enceinte, en
surveillant Augustin, Antoinette et les jumeaux qui, au grand désespoir de
Rolande, necommenceraient l’école que l’année suivante n’ayant
eu six ans qu’au début du mois.
Hélène vint au monde le 11 novembre, le jour du souvenir, journée pour ne pas
oublier les horreurs de la guerre, que l’on commémorait depuis quelques années.
Ce fut Pierre qui partit chercher Marie-Ange. Celle-ci était restée à
Saint-Ambroise, décrétant qu’elle n’irait pas s’enfermer toute seule dans une
maison vide d’enfants à Montréal. Elle avait donc laissé le logement fermé et
envoyait Henry s’en occuper régulièrement. Elle verrait plus tard quoi faire de
ce cadeau. On ne savait jamais, peut-être que Léonie trouverait la vie du
cloître beaucoup moins exaltante que prévu et qu’elle reviendrait sur sa
décision. En ce cas, sa maison l’attendrait. Quand Pierre arriva, tout essoufflé
d’avoir couru sans s’arrêter à travers champs, Marie-Ange devina tout de suite.
Elle fit venir le médecin.
Tout se passa assez bien. Rolande avait la chance que ses filles soient de
menus bébés, car elle était étroite de hanches. François-Xavier serait le
parrain. À cause de son absence, on mandata monsieur Dallaire comme parrain de
remplacement. Julianna fut la porteuse et Marie-Ange, la marraine.
Le dimanche suivant, la première bordée de neige importante tomba. Julianna
décida d’aller passer la journée chez son frère pour y retrouver Marie-Ange qui
aidait aux relevailles de Rolande. Les cousins s’amusèrent des heures dehors à
se construire des bonshommes de neige, encouragés par les jappements de Baveux
qui avait suivi Mathieu. Les enfants ne rentrèrent que pour se réchauffer les
mains et les pieds rapidement gelés par les bas et les mitaines mouillés. Dans
la maison, Marie-Ange aimait faire le concours des plus belles pommettes rouges.
Chaque enfant qui venait se mettre au chaud attendait que sa tante vienne
évaluer la couleur de ses joues avant de se déshabiller.
— Ah les belles pommettes à croquer ! disait-elle en empoignant le visage de
l’enfant et en faisant mine de mordre chaque joue.
Marie-Ange regarda Julianna qui lavait la vaisselle, le visage
encore empreint de son air triste des derniers temps. La mort de son bébé, la
vie religieuse de Léonie, le départ de son mari… « Ça suffit ! » se dit
Marie-Ange en prenant une décision.
— Julianna, tu t’habilles pis tu vas jouer dehors avec les enfants,
décréta-t-elle.
— Ben voyons, que c’est qui te prend ! rétorqua Julianna, surprise par cet
ordre.
Marie-Ange ne fit ni une ni deux, décrocha les vêtements de sa sœur de la
patère et l’habilla sans ménagement, lui entourant la tête d’un châle avant
d’enfoncer un bonnet de laine par-dessus.
— Tiens, tu gèleras pas des oreilles. Mets tes bottes pis envoye dehors. Chus
fatiguée de te voir traîner l’âme en peine.
— Mais...
— Pis tu rentreras lorsque t’auras de belles pommettes rouges toé itou !
Et Marie-Ange la poussa littéralement à l’extérieur en criant :
— Tenez les enfants, sautez lui dessus !
Ses neveux et nièces hésitèrent. Jamais un adulte ne venait jouer dehors avec
eux... Ce fut Baveux qui partit le bal. Ne se posant pas de question, le chien,
content d’avoir une nouvelle amie pour jouer, sautilla en jappant devant
Julianna. La femme se baissa et roula une boule de neige dans sa paume. Les
enfants la regardaient toujours.
Le visage de Julianna s’éclaira.
— À l’attaque ! hurla-t-elle tout à coup.
Julianna se mit à courir après les enfants, lançant sa boule, les bousculant.
Les petits ne se firent pas prier et rétorquèrent en s’accrochant à ses jambes.
Elle tomba à la renverse, sa robe et son manteau pleins de neige. Elle se secoua
en riant, réussit à se dégager, refit une boule, visa Pierre et se fit clouer au
sol.
Lorsqu’elle demanda grâce et qu’elle revint à l’intérieur, c’est en riant
qu’elle se plaignit à sa sœur
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