La chapelle du Diable
Julianna vit partir quatre de ses enfants à l’école. Laura
était en première année et Pierre se fit un devoir de l’escorterjusqu’à l’école. Sa petite sœur était si fragile et il l’avait toujours
adorée. Malgré les prières du jeune adolescent, mademoiselle Potvin ne s’était
toujours pas cassé le cou pendant l’été et était au rendez-vous de leur première
journée de classe, debout sur le bord de la porte, les regardant avec autorité
se regrouper et faire silence. Cette fois, Pierre ne baissa pas les yeux devant
son institutrice. Il avait onze ans et la responsabilité de sa jeune sœur Laura
lui insufflait le courage de braver sa maîtresse.
Mademoiselle Potvin cacha sa surprise devant la nouvelle attitude du garçon et
resta silencieuse. Pierre cria victoire et poussa sa chance jusqu’à lancer un
regard mauvais à l’institutrice. Il avait guidé Laura à l’intérieur d’un air
protecteur, en voulant dire : « Celle-là, touchez-y jamais ». La maîtresse avait
regardé la fillette pleurnicharde qui ne voulait pas lâcher la main de son grand
frère et avait fait claquer le bout de sa langue en signe de désapprobation.
Dans la classe, mademoiselle Potvin avait placé les plus petits en avant. Laura
s’était donc vu désigner un pupitre dans la première rangée. Mademoiselle Potvin
avait le dos tourné à ses élèves et avait entrepris d’écrire son nom au tableau.
Laura se mit à se tortiller sur son banc et dit :
— Z’ai envie de pipi.
Les élèves pouffèrent de rire mais se turent rapidement lorsque leur maîtresse
se retourna, visiblement furieuse. Mademoiselle Potvin avait exigé qu’on lève la
main pour aller à la toilette extérieure.
— Qui a dit ça ? demanda-t-elle.
Personne ne répondit, mais les yeux se tournèrent vers la nouvelle de première
année.
— C’est vous, mademoiselle Rousseau, qui avez envie ?
La nouvelle élève acquiesça.
— Vous apprendrez, mademoiselle, que dans cette classe, on lève la main pour
demander la permission de parler. Pis quand c’est pour aller à la bécosse, on la
lève deux fois.
Elle s’était penchée sur Laura, l’intimidant du haut de son
pouvoir.
— Alors, quand mademoiselle Rousseau aura z’envie, continua la maîtresse en
imitant le zézaiement de la fillette, elle saura quoi faire.
Elle retourna au tableau. Laura hésita. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle.
Sa sœur Yvette lui fit signe de lever la main. Laura s’exécuta et brandit bien
haut son bras. Mademoiselle Potvin se retourna et fit comme si elle ne voyait
rien.
— Bon, je vais poser des questions pour savoir dans quelle année vous placer,
dit mademoiselle Potvin.
Laura se cassa le cou et chercha son frère Pierre. Elle le trouva en arrière,
dans la dernière rangée. Pierre lui fit signe avec deux de ses doigts. Laura
comprit. Elle revint face à son institutrice et, cette fois, fit le geste à deux
reprises. Elle attendit. Rien, la maîtresse ouvrait un de ses cahiers. Laura
recommença son manège. Mademoiselle Potvin leva les yeux, se racla la gorge et
débuta l’interrogatoire. La fillette se tortillait. Pierre toussota pour attirer
l’attention de la femme. Mademoiselle Potvin fit la sourde oreille. Laura releva
sa main bien haut, une fois, deux fois, trois fois, mais la maîtresse continua
de l’ignorer. La petite fille s’immobilisa. Une coulée d’urine glissa le long de
son banc puis dans l’allée. Quelques enfants murmurèrent entre eux. Laura baissa
la tête de honte. Pierre fulminait. Il était certain que la maudite mademoiselle
Potvin avait fait exprès. La maîtresse se tut et regarda la flaque. Avec un air
de grande exaspération, elle ordonna à la fautive de se lever, d’aller chercher
le seau et la guenille et de nettoyer son dégât. Méprisante, elle regarda la
fillette s’exécuter tout en lui faisant la remontrance que pourtant, à ce
qu’elle sache, elle parlait français et ce n’était pas sorcier de lever la main
mais que c’était de famille, une famille de carottes et de navets... À quatre
pattes, le derrière de sa robe mouillé, Laura, en larmes, essayait tant bien que
mal d’assécher le plancher.
À la récréation du matin, les quatre enfants Rousseau et leurs
trois cousins Gagné, car Samuel avait également commencé l’école, se
regroupèrent. Pierre consola
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