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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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toé !
    Elle prit le grand couteau dentelé et s’appliqua à couper une épaisse
     tranche.
    Avec Ti-Georges, ils avaient peu parlé de l’absence de son aîné. Elle savait
     qu’il en était peiné et surtout très fâché. Elle se demanda comment allaient se
     passer les retrouvailles entre le père et le fils. Tout à coup, un petit bout
     d’homme de trois ans sortit, tout ensommeillé, de la chambre de ses parents. Il
     regarda l’étranger avec curiosité. Jean-Marie devina l’identité du
     garçonnet.
    — C’est ton Augustin ? Il a grandi en barouette.
    Derrière l’enfant se pointa une fillette, encore un bébé. Jean-Marie porta un
     regard interrogateur à Rolande. Celle-ci lui répondit :
    — C’est ta petite sœur Antoinette. Elle va avoir deux ans betôt.
    Jean-Marie accusa le coup. C’était une chose d’avoir essayé de toutes ses
     forces de rayer de sa pensée les images de la femme qu’il aimait dans les bras
     de son père, mais lorsque le fruit de leur union se tenait devant lui ainsi...
     Il se leva, chancelant. Le pleur d’un nouveau-né fusa soudain. Rolande s’assura
     que les enfants ne pouvaient atteindre le couteau et se dépêcha d’accourir à cet
     appel. Elle revint avec le bébé tendrement lové dans ses bras.
    — Ton autre petite sœur, Hélène… Elle a quinze jours.
    C’en était trop.
    — Excuse-moé, Rolande, j’vas aller chez mononcle François-Xavier...
    Jean-Marie abandonna son bagage et le pain beurré sur la table
     et se sauva. Dans la cuisine, une jeune femme de dix-neuf ans, mère de trois
     enfants, venait de prendre conscience, pour la première fois, de ce qu’était le
     grand amour… Et combien était immense la douleur qui l’empoigna en se rendant
     compte qu’elle devrait à tout jamais y renoncer.

    Georges était dans le hangar en train de vérifier l’attelage de la carriole à
     la demande de Julianna qui trouvait qu’une roue tournait carré, comme elle
     disait. Penché sur la roue de bois qu’il avait retirée de la voiture, avec un
     maillet, il tentait d’en redresser les rayons. Une ombre se profila derrière lui
     et son sixième sens, le vrai, celui qui très rarement se manifeste dans une vie,
     l’avertit de se relever doucement, de se retourner, d’encaisser le choc de voir
     son fils... son fils... là devant lui... changé, vieilli, mais au fond des yeux,
     la même lueur de petit garçon inquiet, peu sûr de lui. Ti-Georges respira un bon
     coup et mena silencieusement un des plus durs combats de sa vie. Son éducation,
     son caractère lui disaient de tourner le dos à cet ingrat, de le traiter de fils
     indigne, de l’ignorer, de lui dire qu’il était mort... Au contraire, son cœur,
     son âme et peut-être la voix de sa tante Léonie lui soufflaient d’ouvrir les
     bras, juste ouvrir les bras. Il ne sut le faire. Jean-Marie attendit
     anxieusement la décision de son père. Un moment auparavant, sa tante Julianna
     l’avait serré fort contre elle, émue, répétant qu’il avait grandi, qu’il était
     beau et Marie-Ange avait pleuré comme une Madeleine en faisant pareil. Ses
     tantes lui avaient montré où trouver son père et l’avaient regardé se diriger
     vers le bâtiment en essuyant leurs larmes avec le coin de leurs tabliers et
     certainement en priant, se dit Jean-Marie, le cœur battant.
    — Ben reste pas planté là, dit Ti-Georges, tu vois ben qu’une autre paire de
     mains serait pas de refus.
    Jean-Marie se dépêcha de tenir l’équilibre de la roue.
    — Encore que si je me rappelle ben, t’as toujours eu les mains
     pleines de pouces.
    — Vous seriez surpris, son père, répondit Jean-Marie avec aplomb.
    Montrant ses biceps, il ajouta :
    — J’ai pris ben du muscle là-dedans vous savez.
    Ti-Georges sourit et, pointant du doigt la tête de son fils, il
     rétorqua :
    — J’espère que t’en as pris là-dedans itou.
    Peut-être que s’il y avait eu des témoins, s’ils n’avaient pas été seuls dans
     la grange, il ne se serait pas permis de tout lâcher et de prendre son « grand
     niaiseux de bateau de grand morveux de fils » dans ses bras et en cachette
     d’essuyer une larme, mais cela jamais personne ne le saurait, oh non
     personne !

    Marie-Ange et Julianna préparèrent tout un souper en l’honneur du retour de
     Jean-Marie. Ti-Georges alla chercher sa femme et ses enfants et revint,
     souriant, s’installer au bout de la table. Il se mit

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