La chapelle du Diable
coïncidé avec son remariage.
— Jean-Marie, t’es débarqué juste à temps, reprit Ti-Georges d’une voix plus
dure. J’vas faire boucherie betôt pis j’étais bendécouragé de
pas avoir d’homme avec moé. Si tu peux servir à quelque chose…
— J’vas vous donner un bon coup de main, son père, lui assura Jean-Marie.
— J’me demande si un cochon ça couine en anglais quand on le saigne ?
— Ben moé aussi, j’irais coucher les enfants, dit Rolande. Demain, les jumeaux
seront pas du monde si y veillent.
— Y tiennent de leur père, eux autres, dit Marie-Ange.
Georges se leva, donnant le signal de départ.
— Bon ben, we are partis, go home, right trou, plaisanta-t-il. À la revoyure
everybody !
Rolande le soutint un peu tandis que Julianna lui tendait ses vêtements
d’hiver. Marie-Ange prit le bébé et fit signe aux autres enfants de s’habiller
en vitesse.
— Tu vois, ma Rolande... Moé itou je baragouine l’anglais.
Le soleil brillait depuis plusieurs jours mais le froid semblait s’être
installé pour de bon. Encore une fois, toute la famille s’était regroupée pour
cette grosse journée de travail. Faire boucherie demandait de la préparation et
de l’organisation. Tous ceux capables de le faire, devaient aider. Pierre était
fier de se tenir avec son oncle et son cousin Jean-Marie. Le matin, premier
levé, il descendit, en combinaison, et entreprit de rallumer le poêle. Il
frissonnait dans l’air froid du matin. Il ouvrit la porte de côté, prit le
tisonnier et brassa un peu les braises. La bûche de nuit n’était pas tout à fait
consumée. Parfait, il n’aurait pas à mettre de papier journal. Il ne savait pas
trop pourquoi mais il détestait rouler en boule ces feuilles pleines d’encre.
Cela le faisait « gricher des dents » comme il disait. Il mit quelques morceaux
de bois d’allumage et, penché sur l’ouverture, se mit à souffler doucement et de façon continue sur un tison noirci. Le morceau
calciné rougeoya comme un cœur qui se remet à battre. Le feu reprit en petits
crépitements qui annoncèrent à Pierre sa réussite. Satisfait, il referma
soigneusement la porte de fonte. Au lieu de remonter s’habiller, il s’assura
d’être seul, puis se mettant sur la pointe des pieds, s’examina devant le miroir
de la cuisinière au bois. Scrutant son reflet, il crut voir des poils plus
foncés en haut de sa lèvre. Yvette étant apparue, il mit rapidement fin à son
examen pour faire comme s’il venait chercher le peigne et d’un air nonchalant se
mit à se coiffer. Sa jeune sœur eut un sourire narquois.
— T’es ben fier-pet pour aller saigner du cochon...
— Laisse-moé donc tranquille pis fais de l’air.
— On est à pic à matin en plus ?
— Y a jamais moyen d’avoir la paix icitte, se fâcha Pierre.
Yvette vint se placer face à son frère et sérieusement se mit à
l’examiner.
— T’as quelque chose là, dit-elle en désignant le dessous de son nez.
— Tu vois de quoi ? demanda Pierre avec espoir.
Il en était certain, oui, il commençait à avoir une moustache, comme son cousin
Jean-Marie ! Yvette haussa les épaules comme si cela était évident.
— Ben oui, t’es sale.
Elle se détourna et entreprit de mettre la table pour le déjeuner. C’était une
de ses tâches du matin.
— Tu devrais te laver, continua-t-elle, si tu veux pas faire peur à ton cochon
pis qu’y se sauve.
Pierre lança le peigne à la tête de sa sœur.
— Pis toé pis tes deux pitons en dessous de ta robe, t’as l’air fine tu
penses ?
Yvette resta un moment sans voix avant de laisser tomber sur la table le bol
qu’elle tenait et de s’enfuir en pleurant vers la chambrede sa
mère. Pierre soupira. Bon, il aurait droit à un sermon sur la montagne à
matin !
Yvette le bouda le reste de la journée. Mais Pierre ne s’en fit pas. C’était le
cadet de ses soucis. Il en avait eu assez à essayer de ne pas vomir quand ils
avaient saigné le gros porc. Yvette s’était vu assigner la tâche de venir
chercher le chaudron rempli de sang pour l’emmener à Rolande qui en ferait du
boudin qu’on mangerait le soir même. Les chats de l’étable rôdaient autour
d’eux, essayant de se voler un repas inespéré et inégalable.
Yvette adorait les chats et, chaque fois qu’elle venait chez son oncle, se
faisait une joie d’aller les
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