La chapelle du Diable
flatter. Quelques-uns étaient un peu sauvages et
regardaient la fillette avec méfiance, ceux qui avaient reçu quelques coups de
pieds de son oncle probablement. Au contraire de sa nièce, Ti-Georges
n’éprouvait guère d’affection pour ces bêtes qui faisaient un boucan d’enfer
lors des chaleurs des femelles. Mais enfin, ces bestioles faisaient leur boulot
et chassaient les souris, les mulots et les rats qui autrement les
infesteraient. Au début du mois d’octobre dernier, Yvette était partie à la
recherche de sa chatte préférée, Minette, du nom original qu’elle lui avait
donné. Elle l’avait trouvée, blottie dans le panier à guenilles dans le coin de
la grange.
— Minette, c’est là que tu te cachais ?
La chatte avait émis un miaulement de reconnaissance puis s’était allongée plus
confortablement. Entre ses pattes, trois chatons tétaient goulûment. Yvette
avait passé l’automne à les contempler, les caresser, les prendre, les faire
jouer et rigoler de leurs facéties. Un petit de la portée lui était
particulièrement attaché. Lorsqu’elle arrivait, il venait au-devant d’elle.
Yvette le prenait. Collé contre son oreille, il se frottait en ronronnant. Elle
l’avait baptisé « Colleux » et était devenue sa maman.
Les hommes étaient maintenant en train de débiter un bœuf et Georges
s’apprêtait à déposer un gros quartier sur la table improviséefaite de quelques planches posées sur deux tréteaux. Jean-Marie demanda à
Yvette d’aller chercher une guenille propre. Elle obéit, s’excusa à Minette de
la déranger, prit un linge et le ramena à son cousin. Elle ne se rendit pas
compte que Colleux l’avait suivie, se dandinant sur ses petites pattes, la queue
bien dressée, curieux de voir vers quel jeu la fillette l’emmenait. Georges prit
la guenille et nettoya rapidement sa scie à viande. Puis il fit signe à son fils
de mettre le morceau sur les planches. Yvette remarqua Colleux sous la table et
se pencha pour l’attraper. Bandant ses muscles, Jean-Marie souleva le lourd
quartier de bœuf et le déposa sur l’étal. Une planche mal ajustée fit renverser
un des tréteaux et le morceau de viande tomba par terre. Yvette eut juste le
temps de se pousser. Son chaton n’eut pas cette chance. Colleux fut écrasé à
mort. Yvette lâcha un grand cri. Un peu plus et Georges se coupait tant la
fillette le fit sursauter.
— Bateau Yvette, fais-moé pus jamais ça ! lui ordonna son oncle.
Jean-Marie se désola.
— Oh shit, j’ai écrasé un p’tit chat. Y est mort.
Yvette, la bouche ouverte, n’essuya même pas les grosses larmes qui roulaient
sur ses joues. Georges ne perdit pas de temps. Il réajusta la surface de
travail, cala un morceau aux pieds du tréteau, s’assura de son ballant et remit
lui-même le quartier sur la table.
— Maudit Jean-Marie que tu travailles mal !
D’un coup de pied, il envoya valser le chaton au cou cassé.
Jean-Marie regarda sa cousine d’un air désolé et se remit à l’ouvrage. Yvette
alla près du petit corps. Elle le prit délicatement dans ses mains. Elle sortit
à la recherche de sa mère.
Julianna recouvrit ses épaules d’un châle de laine avant d’emmener sa fillette
et son chaton mort à l’arrière de la maison. Malgré toutl’ouvrage que cette journée de boucherie occasionnait, elle laissa pleurer sa
fille longtemps. Yvette disait qu’il s’appelait Colleux et qu’elle était sa
maman. Julianna avait le cœur serré et pensa à Amédée. Prenant la situation en
main, Julianna demanda à Pierre d’aller au hangar construire une petite boîte de
bois pour servir de cercueil. Marie-Ange se moqua d’elle.
— Faire simple pour un chat, on aura tout vu.
Mais Julianna tint son bout et en attendant que Pierre revienne avec ce qu’elle
avait demandé, elle parla doucement à sa fille.
— Ton chaton est parti au paradis, ma chérie... Là-haut, y est ben, y joue avec
une balle de laine, pis y saute sur les nuages.
— J’veux pas ! J’veux qu’y revienne, sanglota Yvette.
— C’est le Bon Dieu qui décide quand y vient nous chercher. Y faut apprendre à
accepter ça. Y a rien qu’on peut faire. On pleure, on a ben de la peine pis
après, ben... la vie continue. Tu te rappelles, dans le train, tu avais peur que
j’allais mourir ?
Yvette fit signe que oui.
— On va toutes mourir un
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