La chapelle du Diable
Pierre, t’as ben grandi en une couple de mois !
Le bambin continua à le détailler. Son visage chavira, ses yeux s’embuèrent et
une moue abaissa ses lèvres. Il se mit à pleurer.
— Y est un peu sauvage de ce temps-ci. Y te reconnaît pas, l’excusa Julianna.
Pis y est dû pour son lait.
À ce moment, François-Xavier fit son entrée.
— Qui c’est qui fait pleurer mon bonhomme ? demanda-t-il en blaguant.
— François-Xavier ! Ah ben que chus content de te voir ! s’exclama
Ti-Georges.
Les deux hommes se donnèrent la main pour s’échanger leurs vœux annuels comme
lorsqu’ils étaient enfants.
— Bonne année grand nez !
— Toé pareillement grandes dents !
Julianna sourit en entendant ces enfantillages. Elle retira le biberon de lait
qui terminait de chauffer dans une casserole d’eau. Elle en vissa le bec et
vérifia la température du liquide sur son poignet. Satisfaite, elle prit petit
Pierre, le coucha dans son berceau près du poêle et lui offrit sa bouteille. Le
bébé cessa enfin de pleurer et se mit à boire goulûment.
— Je te sers un thé à toé aussi, mon mari ? demanda Julianna en allant prendre
des tasses.
— Ben voyons, Ti-Georges, jamais j’croirai que Julianna t’as mis au thé. De la
grande visite qui vient faire son jour de l’An, y faut sortir la
bouteille !
— Envoye donc, ce sera pas de refus de se ravigoter le gorgoton.
— Pis comment va Marguerite ? s’informa François-Xavier.
— A l’aurait ben aimé ça pouvoir venir avec moé, mais a pouvait pas faire le
voyage.
— Avec le bébé qui s’annonce pour bientôt, on comprend ça, dit
Julianna.
— Allez viens, on va aller au salon jaser.
L’invité accepta.
— Pas longtemps les hommes. On va être prêts à passer à la table dans cinq
minutes, déclara Julianna.
— Ah ces femmes ! fit Ti-Georges, c’est pas long que ça vous régente. Dis donc,
c’est-tu vrai que la sœur a sait faire cuire un œuf astheure ?
Julianna attrapa un linge à vaisselle et le lança à la figure de son frère en
faisant mine d’être courroucée. En riant, les deux amis s’éclipsèrent. Qu’il
était doux de retrouver quelqu’un qui vous a tant manqué, se dit Julianna.
Installés confortablement chacun dans un fauteuil, Ti-Georges et son beau-frère
se servirent à boire.
— Alors comment ça se passe à Péribonka ? demanda François-Xavier.
— C’est pas vivable, tu peux pas t’imaginer.
— C’est le bonhomme Belley qui te fait de la misère ?
— Lui pis la bonne femme itou... Une chance que Marguerite ressemble pas à sa
mère.
— Ben voyons, que c’est qu’a l’a de si terrible ?
— A l’arrête pas de m’faire sentir comme si j’avais tout le temps de la crotte
de bouc en dessous de mes bottes. A dit que Marguerite a pas marié le bon, que
sa pauvre fille en est réduite à demander la charité...
— Pauvre toé.
— Le pire, c’est de penser qu’on pourra pas revenir sur la Pointe au
printemps.
— Dis pas ça, Ti-Georges.
— Y faut regarder la réalité en face. Notre pauvre comité de défense rapetisse
à vue d’œil pis on a eu beau demander l’appui à ben des gens, y en a pas ben ben
qui nous soutiennent.
— Même les haut placés de Roberval nous tournent le dos, dit
François-Xavier, découragé.
— Ouais, j’ai entendu dire que votre maire est du bord de la compagnie.
— Tout le conseil municipal de la ville tient le même discours. Y ont pour leur
dire que l’industrie, ça se développe toujours aux dépens de l’agriculture. Y
faudrait se fermer la gueule pis avoir l’esprit de sacrifice.
— Votre maire, ce Bergeron, y peut ben être de mèche avec les Américains, c’est
l’avocat de la compagnie !
— Pas de conflit d’intérêts pantoute, hein ! Sais-tu c’que Bergeron a osé dire
dans les journaux ? Qu’on exagérait, qu’il y avait presque pas de dégâts sur nos
terres, à peine quelques acres qu’on pourrait pus cultiver.
— Ben oui, c’est pour ça qu’on a été obligés de déménager... fit remarquer
Ti-Georges, ironique.
— Pourtant, après le discours d’Onésime Tremblay au grand congrès des
cultivateurs, en novembre dernier, j’pensais ben que tout le monde aurait
compris c’est quoi le bon bord à prendre... Y me semble que c’est clair comme de
l’eau de roche.
Les deux hommes gardèrent
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