La chapelle du Diable
avait fait cadeau de la
maison de Roberval, il ne se sentait pas chez lui. Il avait l’impression de
recevoir la charité. Enfin, il était chanceux de pouvoir occuper cet emploi à la
base, c’était mieux que rien. Même si cela n’était que provisoire... Au
printemps, il retournerait sur la Pointe.
Assis dans la cuisine, il fumait une pipe, l’air maussade. Julianna, devant le
poêle, finissait de leur préparer un bon thé chaud en chantonnant. Dans son
berceau, petit Pierre ronflait déjà, bien à la chaleur.
— Est-ce que tu veux une galette blanche avec ton thé ? lui offrit
Julianna.
François-Xavier refusa.
— Ah, je t’ai pas dit la grande nouvelle ! dit-elle joyeusement.
— Bon, que c’est qu’y a encore ?
— Ah ben, t’es de bonne humeur sans bon sens ! fit-elle remarquer avec
mécontentement.
— C’est quoi la nouvelle ? soupira François-Xavier.
Avec fierté, elle annonça :
— J’vas chanter au récital de Noël offert par le maire de la ville.
— Ah bon...
— Pis en plus, j’vas être payée !
— Payée ? Pour chanter ? Y en est pas question !
— Comment ça, y en est pas question ? J’vas chanter Ave Maria pis…
— Ave Maria ou la poulette grise, tu chanteras pas en public pour de
l’argent. T’es ma femme !
— J’aurai tout entendu ! Ti-Georges a déteint sur toé, certain !
— T’as pas ma permission, tu vas dire non !
— Écoute-moé ben, François-Xavier Rousseau, je t’ai pas demandé la permission,
je t’ai juste averti, c’est pas pareil !
— C’est non !
— J’vas chanter, un point c’est tout ! Pis parle moins fort, tu vas réveiller
le p’tit.
— Non !
— J’ai déjà dit oui pis je reviendrai pas sur ma parole.
— Tu chanteras pas pour de l’argent. T’es pas dans la rue, chus encore capable
de faire vivre ma famille.
— Ben j’vas chanter gratis d’abord !
Le ton avait monté et c’est en criant que Julianna avait lancé sa dernière
réplique. Petit Pierre se mit à pleurer.
— Tu vois, tu l’as réveillé ! reprocha Julianna à son mari.
Elle se dépêcha de prendre son enfant dans ses bras. L’homme et la femme se
défièrent du regard. À la vue du menton relevé de son épouse, François-Xavier
sut que la bataille serait rude. Il décida d’abdiquer.
— Si tu chantes pas pour de l’argent, tu peux y aller.
— J’aurais besoin d’une robe neuve pour le concert ! J’ai pus rien de beau à me
mettre !
— Non, Julianna, ça serait pas raisonnable.
Julianna remit l’enfant dans son berceau. Elle vint vers son mari et passa ses
bras autour de son cou.
— C’est pas grave pour la robe, François-Xavier. J’vas m’organiser... J’ai
peut-être pas beaucoup de talent pour la cuisine mais pour la couture, j’ai des
doigts de fée. J’ai ma p’tite idée pis ça va rien coûter !
Elle servit le thé.
François-Xavier se radoucit. Il complimenta sa femme.
— Tu vas éblouir tout Roberval par ta beauté pis ton talent ! Chanter Ave
Maria au concert de la ville, c’est pas rien !
— À moins que je change d’idée pis que j’interprète la poulette grise !
— Ah Ti-Georges, que je suis contente de te voir ! fit Julianna en faisant
pénétrer son frère dans la maison. Entre, entre ! Le voyage s’est bien passé ?
Comment vont Marguerite pis les garçons ?
Elle le bombardait de questions tandis qu’il retirait son manteau
d’hiver.
— Bateau, laisse-moé arriver la p’tite sœur ! J’ai besoin d’aller me
réchauffer. On a toute un mois de janvier frette !
— T’as ben raison, viens dans la cuisine, je t’ai préparé un bon dîner pis y a
du thé chaud qui t’attend.
— J’ai pas envie de me faire empoisonner mais je meurs de faim, dit-il en la
suivant.
— Tu sauras, le grand frère, que j’me suis pas mal améliorée.
— De toute façon, chus un gars courageux. François-Xavier est pas là ?
questionna Ti-Georges en regardant à la ronde.
— Y est parti au magasin général, y me manquait plein d’affaires !
— Pis mon bec du jour de l’An ?
Julianna répondit à la demande de son frère de bonne grâce.
— Ah ben, si c’est pas mon filleul ! s’exclama tout à coup
Ti-Georges à la vue du bébé qui trottinait à l’entrée de la cuisine.
L’enfant s’arrêta net et examina le visiteur.
— Bonjour, le p’tit
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