La chasse infernale
pas mort, me l’aurait-il remise et aurait-il pu me dire qui l’avait rédigée ? Le Gardien a dû prendre un grand risque. Que se serait-il passé si Langton me l’avait tout à coup donnée pendant le souper ou ensuite ? Et comment l’assassin savait-il quel gobelet empoisonner ? »
Il rouvrit les yeux. On avait à présent emporté le corps de Langton. L’assemblée le regardait d’un air bizarre.
— Sir Hugh, la nuit s’avance et nous sommes tous fatigués ! lança Lady Mathilda.
Corbett se leva et tenta de cacher son trouble et sa peur devant les menaces du Gardien.
— Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour le moment, dit-il. Il y a eu suffisamment d’horreur pour la journée.
— J’aimerais vous entretenir avant que vous ne vous retiriez, déclara Lady Mathilda. Sir Hugh, je suis, avec mon frère au souvenir bien-aimé, la fondatrice de ce collège.
Elle jeta un regard de défi à Tripham.
— J’exige de pouvoir vous parler !
Le vice-régent sembla sur le point de protester, mais, au lieu de le faire, quitta la pièce avec de grands gestes d’agacement, suivi par toute la compagnie. Lady Mathilda pria Ranulf et Maltote de rester derrière la porte avec Moth. Elle verrouilla et barra la porte de la bibliothèque derrière eux puis revint. Elle s’installa à la table et fit signe à Corbett de s’asseoir en face d’elle.
— On ne peut nous entendre ici, chuchota-t-elle en se penchant. Sir Hugh, on a dû vous dire que le roi avait un espion à Sparrow Hall ?
Le magistrat se contenta de lui rendre son regard.
— Quelqu’un qui rend compte au roi de ce qui se passe ici.
Elle retroussa les manches de sa robe.
— C’est moi cet espion, Sir Hugh. Mon frère était un fidèle sujet du roi en temps de paix comme en temps de guerre. Ce collège...
Sa voix se fit légèrement plus forte et ses pommettes rougirent sous l’effet de la colère.
— ... Cet endroit a été fondé pour l’enseignement, et voilà que c’est devenu une caricature de ce que ce devrait être !
— Le roi vous a-t-il demandé d’espionner ? s’enquit le magistrat.
Le visage cireux de Lady Mathilda se détendit, mais ses yeux brillaient encore de fureur.
— Non, je lui ai offert mes services, Sir Hugh. Connaissez-vous mon histoire ? Quand j’étais damoiselle, je m’amusais avec les chevaliers de Montfort.
Son expression s’adoucit.
— Dans ma jeunesse, Corbett, j’étais belle. Les hommes se pressaient pour baiser cette main à présent décharnée et aux veines apparentes. Les chevaliers du roi arboraient souvent mes couleurs dans les lices et les tournois.
Elle sourit, ce qui lui donna l’air malicieux.
— Même Edward Longshanks voulait entrer dans mon lit. Je suppose que j’étais dévouée au roi, corps et âme, ajouta-t-elle avec une ironie désabusée.
Elle croisa ses doigts chargés de bagues.
— C’était une époque fabuleuse, Corbett. Des jours de guerre, d’armées paradant, de gonfalons déployés, d’espionnage et de trahison. Si Montfort avait gagné, un nouveau roi serait monté sur le trône à Westminster et moi, mon frère et nos semblables aurions disparu dans les ténèbres. Vous a-t-on raconté l’histoire ?
Corbett hocha la tête, fasciné par la fougue de cette femme âgée, mais encore passionnée.
— À Evesham, au plus fort de la bataille, cinq des chevaliers de Montfort ont tenté de faire une percée pour tuer le roi. Ils ont abattu sa garde personnelle et ont fait irruption dans le cercle royal – mais mon frère Henry était là.
Elle leva la tête, larmes aux yeux.
— C’était un roc, a dit le roi. Les pieds enracinés au sol, solides comme des chênes, sa grande épée à deux mains tourbillonnant comme le vent, et ces chevaliers n’ont jamais atteint le souverain. Mon frère les a tous tués. Ensuite, pendant la nuit, sous la tente, Édouard a fait un serment solennel.
Elle ferma les yeux et sa voix trembla.
— « J’ai fait un serment solennel et ne le renierai jamais, a déclaré le roi, la main sur une relique d’Édouard le Confesseur. Chaque fois qu’Henry Braose ou quelqu’un de son lignage aura besoin de mon aide, je serai là. »
Lady Mathilda rouvrit les yeux.
— Mon frère n’a pas tué Montfort, reprit-elle, pour voir sa grande entreprise réduite à néant par des lettrés bouffis de vanité. Alors oui, Corbett, j’ai volontairement offert mes services au roi.
— Et qu’avez-vous
Weitere Kostenlose Bücher