La chasse infernale
l’amulette qui pendait à son cou.
— Je pense que ceci est destiné à nous amuser et à nous distraire, chuchota Ranulf. Mais aussi à nous alerter.
La porte s’ouvrit soudain à la volée et une silhouette dans un accoutrement voyant s’avança en bondissant. C’était l’un des compagnons d’Ap Thomas, vêtu de haillons noirs, un bec jaune collé sur le visage, et chaussé de bottes de la même couleur sur ses jambes nues. Il brandissait, lui aussi, un épieu et, pendant un moment, il sautilla en agitant les bras, croassant comme le corbeau qu’il imitait si bien.
— Je vais trancher la gorge de ce bâtard ! dit Ranulf d’une voix rauque.
— Non, non, intervint son maître. Qu’ils s’amusent !
Le « corbeau » cessa ses bouffonneries, se mit en garde devant Ap Thomas et les deux étudiants commencèrent à se battre. Corbett décida de ne pas relever l’insulte et contempla avec admiration l’habileté consommée des deux hommes, surtout celle d’Ap Thomas. Les épieux étaient d’épais bâtons de frêne maniés avec force et un coup sur la tête aurait pu assommer n’importe qui. Mais Ap Thomas comme son adversaire étaient d’adroits combattants. Les bâtons tourbillonnaient et les deux hommes esquivaient et sautaient. De temps à autre, les armes se heurtaient quand une attaque à la tête ou au ventre était habilement contrée ou que, dans un effort pour renverser l’autre d’un coup vicieux dans les chevilles, les combattants cherchaient à se faucher. Ap Thomas combattait en silence, ne grognant que lorsqu’il faisait un pas en arrière, la poitrine haletante, le visage et les bras couverts de sueur, attendant que son adversaire s’approche à nouveau.
La lutte dura au moins dix minutes jusqu’à ce que Ap Thomas, faisant rapidement passer son épieu d’une main à l’autre, recule et, d’un grand coup sonore sur l’épaule de son compagnon, le fasse s’effondrer à genoux.
Corbett et Ranulf traversèrent la cour sans tenir compte des croassements rauques. Ranulf aurait volontiers fait demi-tour, mais son maître le tira par la manche.
— Comme le dit la Bible, Ranulf, « il y a un temps et un lieu pour chaque chose sous les cieux : un temps pour planter et un temps pour récolter, un temps pour la guerre et un temps pour la paix ». Pour le moment, allons réveiller Maltote, il a assez dormi !
Ranulf haussa les épaules et emboîta le pas à son maître. Lui aussi se souvenait d’une phrase de l’Ancien Testament : « OEil pour oeil, dent pour dent, vie pour vie », mais il décida de se taire.
Maltote venait juste de se réveiller. Il était assis et grattait sa tignasse blonde. Il cligna des yeux comme un hibou en les voyant, puis tressaillit en tendant la jambe.
— Je dormais à moitié en rentrant, expliqua-t-il, et je me suis cogné le tibia sur un seau que Norreys avait laissé après avoir nettoyé les celliers.
Il se leva en claudiquant.
— J’ai entendu du bruit en bas, que s’est-il passé ?
— Des imbéciles qui s’amusaient, répondit Corbett. Nés stupides, ils mourront stupides !
— Allons-nous manger ? s’inquiéta Maltote.
— Pas ici, dit son maître. Ranulf, explique à Maltote ce qui s’est passé et à quel point il doit être prudent. Va à Turl Lane, où il y a une taverne, L’Oie Grise. Je vous y rejoindrai peut-être après être allé au collège.
Ils descendirent et s’éloignèrent dans l’allée. Une ribaude, le visage tellement fardé de blanc que la poudre se craquelait, passa près d’eux en se déhanchant et agita, en guise d’invite, ses lambeaux de jupons sales dans leur direction. D’une main elle tenait sa perruque rousse et de l’autre une belette apprivoisée qu’elle retenait par un bout de corde passé autour de son poignet. Elle leur sourit en montrant une rangée de dents jaunes et ébréchées, puis fit demi-tour et couvrit d’un chapelet d’injures abominables un chien qui, sorti d’une venelle en aboyant, montrait les dents à sa belette. Pendant que Ranulf et Maltote l’aidaient à se débarrasser du roquet, Corbett alla frapper à l’huis de Sparrow Hall. Un serviteur le fit entrer. Le magistrat expliqua les raisons de sa visite et l’homme le conduisit à la chambre de Churchley. Messire Aylric, installé à son bureau près d’une fenêtre ouverte, contemplait la flamme d’une chandelle. Il se leva à l’entrée de Corbett et cacha son agacement sous un
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