La chasse infernale
là, hein ? Ces maudits Gallois qui rampaient comme des vers sur le sol.
Le visage de Norreys était gonflé de rage.
— Doucement ! Doucement !
Il écarquilla les yeux.
— Nous partions toujours en groupe de cinq ou six. C’était de braves hommes, Sir Hugh, ces archers, avec des femmes et des fiancées qui les attendaient chez eux. Nous en perdions toujours un, quelquefois deux ou trois. C’était toujours la même chose ! D’abord nous trouvions les corps. Puis nous cherchions les têtes. Parfois ces fichus bâtards se jouaient de nous. Ils prenaient une tête et la laissaient se balancer dans la brise, comme une pomme.
Norreys s’interrompit en serrant son épée des deux mains.
— Vous croyez que je suis fou, que j’ai perdu l’esprit, que je suis possédé par les démons. Mais je vous dis ceci, Messire, continua-t-il précipitamment, quand l’armée du roi s’est débandée à Shrewsbury, j’ai commencé à faire un rêve. Toujours le même. Toujours les ténèbres, les feux de camp parmi les arbres, des pas qui glissaient près de moi ou derrière moi. Et ces têtes... toujours ces têtes ! Parfois, dans la journée, je voyais de petites choses – une feuille sur une branche, une pomme mûre qui pendait...
Norreys soupira.
— ... et je recommençais à rêver. Puis je suis venu ici.
Il sourit.
— Vous comprenez, Sir Hugh, je suis un homme éduqué : j’ai fait des études de clerc, j’ai étudié le petit livre de corne. J’ai toujours été un bon soldat, alors le roi m’a donné cette sinécure.
— Êtes-vous le Gardien ? demanda Corbett.
— Le Gardien ! ricana Norreys. Le Gardien ! Je me moque de Montfort et de ces gros seigneurs, de l’autre côté de l’allée. J’étais heureux ici et les rêves se firent plus rares... mais c’est alors que les Gallois sont arrivés.
Il ferma les yeux, mais les rouvrit brusquement quand Corbett s’agita.
— Non, non, Sir Hugh, vous devez m’écouter. Comme moi je devais écouter... ces voix. Vous souvenez-vous, Sir Hugh, comment les Gallois nous interpellaient dans les ténèbres ? Ils finissaient par connaître nos noms et, de même que nous les pourchassions, ils nous pourchassaient. Et, s’ils capturaient l’un d’entre nous, ils criaient : « Richard est mort ! Henry est mort ! Dites à la femme de John qu’elle est veuve ! »
La voix de Norreys résonna sous les voûtes. Il regarda autour de lui.
— Je vais bientôt devoir partir, chuchota-t-il. Les étudiants vont rentrer de leurs cours. Ils viendront frapper à ma porte pour réclamer ceci ou cela.
— Et les mendiants ? s’enquit précipitamment Corbett.
— C’était un accident, répondit Norreys en hochant la tête. Un pur hasard, Sir Hugh. Un vieux vagabond est venu céans : il voulait du travail, alors je l’ai envoyé au cellier chercher un tonneau de vin. Bien entendu, ce stupide vieillard ne put s’empêcher de mettre un fût en perce. Quand je suis descendu, il était complètement ivre. Il a pris peur et s’est enfui. Je l’ai suivi.
Norreys se mordilla les lèvres.
— Ici, murmura-t-il en se penchant, ici, dans les ténèbres, Sir Hugh. J’étais de retour au pays de Galles. Je le pourchassais. Il allait crier et présenter des excuses. Je l’ai rattrapé et il s’est débattu, alors je lui ai coupé la gorge. J’ai laissé le cadavre ici, mais cette nuit-là j’ai rêvé.
— Et vous l’avez décapité, n’est-ce pas ? l’interrompit Corbett. Vous avez mis corps et tête dans un tonneau et les avez sortis d’Oxford par une porte ou une autre pour vous en débarrasser.
— C’est vrai, reconnut Norreys. J’ai jeté le corps dans les bois et attaché la tête à une branche. Savez-vous, Sir Hugh, que c’était comme si l’on m’exorcisait ou que l’on m’absolvait à l’église ? Les rêves ont disparu. Je me suis senti purifié.
Norreys sourit et eut un regard radieux.
— J’avais l’impression d’être un petit garçon qui saute d’un rocher dans un étang profond et clair : d’être propre.
Il s’interrompit et fixa un point au-dessus de la tête de Corbett.
Le magistrat respira profondément et tendit l’oreille.
« O Seigneur, pria-t-il, où est Ranulf ? »
Il scruta le couloir derrière Norreys, mais ne vit rien.
— Alors vous avez tué une nouvelle fois ? demanda-t-il.
— Bien sûr, répondit Norreys avec un petit sourire satisfait. C’est comme le vin, Sir
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