La Chimère d'or des Borgia
rares hommes à qui Aldo vouait une véritable amitié…, et il se sentit tout à coup incroyablement heureux de le revoir. Et se hâta de rejoindre le bureau du commissaire-priseur tandis que la salle commençait à s’agiter.
Quand il arriva, le policier et l’huissier, Maître Danglumé, s’efforçaient d’expliquer que le collier et une autre pièce de la vente devaient en être retirés sur demande de la justice de l’État de New York : jusqu’à sa disparition dans la catastrophe du Titanic , ces joyaux appartenaient à la comtesse d’Anguisola, tante de M. Belmont ici présent, tout frais débarqué des États-Unis pour s’opposer aux transactions.
— C’est impossible, Messieurs ! protesta Maître Lair-Dubreuil. Il s’agit sans doute d’un bijou semblable. Vous venez de le dire vous-même, M me d’Anguisola a disparu corps et biens avec toutes les victimes que l’on n’a pu sauver.
— Elle a disparu en effet mais pas engloutie dans l’océan : assassinée afin de lui voler les bijoux dont elle ne se séparait jamais et que, d’ailleurs, se sentant vieillir, elle avait l’intention de remettre à sa nièce et filleule la baronne von Etzenberg, sœur de M. Belmont !
Cependant Lair-Dubreuil n’était pas convaincu.
— Loin de moi l’intention de mettre en doute sa parole, mais je crains fort que ses allégations ne soient irrecevables ici : nous sommes chargés de vendre la collection Van Tilden après décès et nous ne pouvons pas prendre en considération l’origine de chaque objet ! L’honorabilité du défunt ne saurait être contestée…
— Aussi n’en est-il pas question, concéda l’huissier, mais s’agissant de bijoux volés à la suite d’un meurtre, ils doivent être mis sous séquestre et…
— Encore faudrait-il la preuve qu’il s’agit bien des mêmes parures, or sur quoi vous appuyez-vous pour l’affirmer ?
— Ceci !
Belmont avait extrait un dossier de sa serviette et l’ouvrait aux pages marquées d’avance : c’étaient des reproductions des pièces en litige, dessinées à la plume et coloriées, et également photographiées.
— Le doute ne me paraît pas possible, émit Aldo qui, grâce à sa haute taille, regardait par-dessus l’épaule de Lair-Dubreuil. Il y a sur l’un des médaillons une écorchure que l’on voit nettement sur les deux documents.
Son entrée en scène fut diversement appréciée. Langlois fronça légèrement le sourcil, mais lui tendit la main.
— Tiens, vous êtes là ? Je me demande s’il faut vraiment s’en féliciter, fit-il, mi-figue mi-raisin. Votre compétence est indiscutable mais, quand je vous vois, je me demande toujours quelle affaire bizarre vous amène !
— Mon métier, simplement ! Je suis venu acheter, mon cher ami.
La figure de John-Augustus, elle, s’était illuminée. Et il lui tomba dans les bras.
— Morosini ! Ça, c’est un morceau de chance ! J’avais bien dans l’idée puisque je suis en Europe de pousser jusqu’à Venise… et vous voilà !
— L’un n’empêche pas l’autre !…
— Je vous en prie, Messieurs ! coupa Lair-Dubreuil. Remettez à plus tard retrouvailles et mondanités ! Nous sommes confrontés à un cas épineux. Il semblerait en effet que ces pièces aient survécu au naufrage. Et vous avez, Monsieur Belmont, évoqué un assassinat ? Vous comprendrez aisément…
— Il vous fallait une preuve : la voici, mais si vous désirez aussi un témoin oculaire, j’ai ça aussi ! Nous autres, Belmont, ne nous embarquons jamais sans biscuits !
— Un témoin ? s’étonna Langlois. Sur un navire en perdition ?
— Une des femmes de chambre du Titanic qui avait en charge la suite de ma tante et celle de John Jacob Astor. Elle a vu une jeune fille inconnue sortir de chez notre parente et fermer en emportant la clef. Elle emportait un sac de cuir apparemment lourd. Intriguée, inquiète aussi, Helen – c’est son nom – s’est servie de son passe pour entrer : elle a découvert ma tante Diane poignardée devant le coffre ouvert. Elle a voulu appeler au secours, dénoncer la meurtrière, mais le bateau était pris de folie. On évacuait les femmes et les enfants – du moins on essayait ! Elle est alors tombée sur Astor qui avait pu apprécier ses services et qui lui a confié sa toute jeune épouse – enceinte par-dessus le marché –, puis Helen n’a pas revu sa meurtrière. Elle est restée longtemps au service de Madeleine Astor, même après son
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