La Chimère d'or des Borgia
remariage, mais les choses se sont gâtées par la suite et voici peu, apprenant que ma sœur Pauline avait perdu sa femme de chambre, elle s’est présentée et, bien sûr, elle a été engagée aussitôt. Elle connaît admirablement son métier. Or, chez Pauline, elle a remarqué une photographie de notre tante d’Anguisola. C’est alors qu’elle a révélé ce dont elle avait été témoin la nuit du naufrage : la tante assassinée, les bijoux enfuis… Naturellement j’ai été prévenu et je suis allé demander l’avis de Phil Anderson, le chef de la police métropolitaine qui est un ami. Mais après tant d’années, où aller dénicher la meurtrière ?
— Pourquoi la femme de chambre n’a-t-elle pas parlé immédiatement après le drame ? demanda Aldo.
— Elle a essayé, mais vous n’imaginez pas la surexcitation qui régnait alors à New York ! Chacun y allait de sa version plus ou moins crédible. Et puis Madeleine Astor a voulu s’installer immédiatement et à l’écart pour avoir son bébé en paix. Elle a emmené Helen dans le Connecticut et le temps a passé ! Helen a fini par n’y plus penser jusqu’à ce qu’elle tombe sur la photo de notre tante. Je me suis consacré à des recherches pour en savoir davantage, mais après toutes ces années ! Jusqu’à ce qu’un ami m’entende parler de la vente de la collection Van Tilden et ne me montre le catalogue qu’il s’était procuré parce que ça l’intéressait, lui aussi. On a juste eu le temps de sauter dans un paquebot et me voilà !
— Vous n’imaginez pas à quel point cela m’enchante ! le conforta Aldo.
Cependant, l’agitation de la salle devenait houleuse. En rang serré, les Rothschild venaient aux renseignements. Mis au fait, le baron Edmond proposa :
— Ce n’est pas mon intérêt immédiat puisque je comptais acheter cette parure, mais je pense que le mieux serait de retirer les deux pièces… je dirais, suspectes, de les mettre sous séquestre jusqu’à nouvel ordre et de continuer la vente.
— Qu’en dites-vous, Monsieur Belmont ? s’enquit le commissaire-priseur.
— Je n’ai rien contre. Désolé seulement de n’être pas arrivé plus tôt, mais nous avons essuyé un grain au large de l’Irlande.
Tandis que Maître Lair-Dubreuil improvisait une annonce destinée à calmer le tumulte grandissant, et que le policier se retirait en faisant part à Morosini et à Belmont qu’il suivait l’affaire et les reverrait plus tard, chacun regagna sa place. Aldo réussit à caser le nouvel arrivant entre Wishbone et lui après avoir, comme il se doit, présenté les deux Américains l’un à l’autre. Les enchères repartirent. C’est alors que Cornélius chuchota, désignant la serviette que Belmont avait posée sur ses genoux :
— Si les bijoux n’ont pas fait naufrage, est-ce qu’il n’y aurait pas une chance pour que le… la Chimère soit parmi eux ?
Ce fut John-Augustus qui lui répondit :
— La Chimère des Borgia ? Évidemment qu’elle y était !
Puis ressortant le dossier qu’il feuilleta rapidement :
— Tenez, la voilà ! triompha-t-il en montrant dessin et photographie. Elle vous intéresse ?
— Oh, oui !
Et, revenant à Aldo, soudain rayonnant :
— Il faut la retrouver tout bêtement !
— Tout bêtement ? Et où voulez-vous chercher ?
— Moi, je ne sais pas mais, vous, si ! Vous faites ça tout le temps !
— Ce que c’est que la renommée ! apprécia Belmont, ironique. On vous connaît jusqu’au fin fond du Texas !
— Maintenant oui, grogna Aldo. Jusqu’à présent, ma réputation n’allait pas beaucoup plus loin que New York ! Mais, sacrebleu, je ne suis pas un chien de chasse !… Et j’ai autre chose à faire !
Son indignation était feinte comme son ton manquait de justesse parce que, déjà, son vieux démon de l’aventure montrait le bout de l’oreille. Peut-être aussi parce que l’apparition inopinée de John-Augustus l’enchantait vraiment… et que la femme de chambre accusatrice était celle de Pauline. Pauline ! Son si doux… et si torturant secret ! Avec laquelle il avait partagé deux moments inoubliables : une rapide étreinte à la suite d’un bal masqué dans la bibliothèque des Belmont à Newport et, surtout, un an plus tard, une nuit passionnée dans une chambre du Ritz ! Pauline, fantasque et ardente ! Pauline, ses yeux couleur de nuage, ses longs cheveux de laque noire dénoués sur son corps envoûtant ! Pauline, dont il savait
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