La Chimère d'or des Borgia
qu’un instant. Resta cependant un sourire qu’il jugea un rien automatique.
— Aldo ! Quel plaisir de vous revoir ! Il me semble qu’il y a des siècles…
— Il ne m’est pas apparu si long à moi ! répliqua-t-il après avoir baisé la main qu’elle lui tendait. Il est vrai que ma vie est plus que… mouvementée ! Demandez plutôt au commissaire Langlois : il trouve que j’en fais trop !
— Et Adalbert ? Comment se porte-t-il ?
— Au mieux ! Vous ne tarderez pas à le voir, je pense !… Croyez que je suis désolé de ce qui est arrivé à votre femme de chambre…
— Qui est-ce ? interrogea l’adorateur de Pauline sans s’encombrer inutilement de politesse, mais ce fut Belmont qui se chargea de la réponse.
Belmont qui d’ailleurs n’avait pas l’air d’apprécier outre mesure la présence du bel Ottavio.
— Qu’est-ce que ça peut bien vous faire ? On n’est pas ici dans un salon, mais si vous y tenez… Mon cher Aldo, voici le comte…
— Fanchetti ! souffla Pauline, visiblement inquiète.
— C’est ça ! Fanchetti, je vous présente « au » prince Morosini…
Aldo l’aurait embrassé : son petit « au » qui ne payait pas de mine était en réalité un chef-d’œuvre d’insolence. Sans se serrer la main, les deux hommes inclinèrent le buste dans un style vaguement japonais en se déclarant « enchantés ». Un de ces gros mensonges mondains comme il s’en profère à chaque instant, après quoi Aldo se tourna vers Belmont :
— Que comptez-vous faire ? Attendre l’issue de l’opération ?
— Il est inutile que nous restions tous ! C’est à moi d’attendre le verdict du chirurgien, dit Pauline. Helen est ma femme de chambre. Donc, je reste. Vous pouvez partir avec Aldo, John-Augustus ! On se retrouvera ce soir à l’hôtel !
— Soyez rassuré, je tiendrai compagnie à Pauline ! déclara l’indispensable Ottavio. Il ne faut pas qu’elle soit seule… surtout si les nouvelles s’aggravent !
Belmont ouvrit la bouche, peut-être pour argumenter, mais, réflexion faite, la referma. Langlois aussi prenait congé.
— Je rejoins mon bureau. C’est à côté et le professeur Aulagnier me préviendra si besoin est. Au surplus, je laisse un homme de garde !
On se sépara. Aldo, se refusant à l’image de Pauline installée sur une banquette auprès du Napolitain, prit Belmont par le bras.
— Vous, je ne sais pas, dit ce dernier d’un ton plaintif, mais je ressens des tiraillements d’estomac, j’ai comme une petite faim : on n’a pas déjeuné !
— On va aller arranger ça ! Auparavant, on va passer place de l’Opéra ! Il faut que j’achète des journaux !
Le vendeur du kiosque se souvenait de la dame étrangère qui lui avait pris le journal mais ne se souvenait plus du titre.
— C’est qu’il s’en débite dans ce coin-là, vous savez !
— Vous reste-t-il un exemplaire de chaque ? J’entends français, anglais ou américain ?
— On va voir ! Attendez… Oui ! J’ai !
— Vous m’en donnez un de chaque !
Cela faisait un assez gros tas que Belmont contempla avec surprise quand Aldo le déposa dans la voiture.
— Vous comptez lire toute cette littérature ?
— En principe, je dois les porter à la police mais en attendant on va déjà y jeter un coup d’œil !
— Et déjeuner ? rappela John-Augustus. C’est pour quand ?
— Tout de suite avant ! En outre, on va trouver de l’aide !
Un quart d’heure plus tard, Aldo stoppait sa voiture devant l’hôtel de Sommières où leur arrivée chargés de leurs journaux suscita un vif intérêt chez Plan-Crépin, la marquise réservant plutôt le sien à ce « frère de Pauline », qui s’inclinait devant elle et lui baisait la main selon toutes les règles de la meilleure société, le tout accompagné d’un sourire à désarmer une douairière, ce qu’elle ne serait jamais !
L’annonce du drame du Ritz… et le fait que les deux hommes étaient à jeun achevèrent de faire envoler la légère couche de glace d’une première rencontre. Même Eulalie, le redoutable cordon-bleu maison, fort mécontente que « Monsieur le prince », ayant annoncé qu’il ne rentrerait pas de sitôt, avait laissé s’effondrer ses quenelles de brochet à la Nantua, ne tarda pas à être conquise. L’enthousiasme, dont le « gentleman américain » fit preuve en attaquant son omelette aux truffes puis les tournedos Rossini qu’elle fit suivre et sa haute culture concernant les vins qu’on lui
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