La Chimère d'or des Borgia
posa une main compatissante sur le genou de son ami.
— C’est si douloureux ? fit-il doucement.
— Oui… Non ! s’écria-t-il soudain comme on appelle « au secours ». Je crois que j’aurais préféré ne plus la revoir…
— … plutôt qu’escortée par cet Antinoüs exotique habillé à Rome et qui se donne des airs de propriétaire…
— Et qui la fait rire ! Rire ! ragea Aldo. Comme une vulgaire midinette en goguette avec le coq du village !
— Les midinettes ne fleurissent guère dans les villages, mon bon, avec ou sans coq, fit remarquer Adalbert. Mais je comprends ce que tu ressens : la déesse de la beauté a sauté à bas de son socle de marbre pour aller s’encanailler à la foire ! Et tu ne le supportes pas.
— Je la croyais… exceptionnelle !… Comme l’ont été ces quelques heures vécues dans ses bras, volées en quelque sorte au Destin…
— Tais-toi ! Tu vas te faire plus mal encore ! Qu’au moins cela te reste ! conseilla courageusement Adalbert qui, cependant, brûlait d’en apprendre davantage. Quoiqu’il eût une vague idée du moment où se situaient les quelques heures en question : pendant l’exposition de Versailles, lorsque Aldo s’était rendu à Zurich discuter avec son beau-père. Au retour, il y avait eu un laps de temps vide que l’on avait expliqué un peu n’importe comment… Mais en rentrant au Trianon Palace, Aldo irradiait littéralement : une euphorie qu’une nuit passée à dormir seul dans un sleeping procurait rarement !
— Tu as raison ! soupira Aldo. Il vaut mieux tirer le rideau et revenir à la vie quotidienne. Ce soir, je vais écrire à Wishbone, faire…
— Je t’arrête tout de suite. Ton Wishbone, je ne sais pas où il est, mais ta lettre aurait sûrement du mal à l’atteindre. Lucrezia Torelli, sa chanteuse bien-aimée, va se produire au Covent Garden de Londres et ensuite à Paris.
— Quand ?
— Incessamment ! J’ai dû lire ça hier dans je ne sais plus quel canard ! S’il revient – il va revenir, j’en suis certain – tu vas le voir rappliquer dans ta lagune pour te traîner aux pieds de son idole afin de lui promettre que tu vas consacrer tous tes efforts à lui donner satisfaction. Tu ferais mieux de rester encore… quelques jours.
— Tu crois ?
— Absolument. D’ailleurs est-ce que Lisa ne t’avait pas dit qu’elle viendrait faire le tour des couturiers ?
— Elle ne l’avait pas juré, mais j’y comptais un peu. Seulement les jumeaux ont jugé bon d’effectuer un plongeon synchronisé dans le canal en batifolant sur la gondole de Zian. Résultat, ils ont pris froid…
— Ce n’est pas grave, j’espère ?
— Non. J’ai eu Guy Buteau au téléphone : un simple rhume, mais tu sais comment est Lisa !
— Plus mère poule on ne fait pas ! Tu ne penses pas qu’il faudrait peut-être ouvrir l’ère des fessées pour ces deux lurons ?
— Tu veux rire ? Procédé barbare inconnu en Suisse ! L’éducation idéale s’obtient par le raisonnement et le sens des responsabilités…
— Avec des mouflets de cinq ans ? Je rêve !
— Tu sais bien que non. Souviens-toi de notre retour d’Égypte au printemps dernier ! Lisa espère d’ailleurs que je ne vais plus tarder ! Alors Wishbone ou pas, je vais reprendre mon train bien-aimé !
— Tu vas dire que je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais je ne suis pas d’accord ! Dieu sait l’affection que je porte à Lisa, mais il serait temps qu’elle regarde elle aussi les réalités en face. Qu’elle adore sa progéniture, personne ne le lui reprochera, au contraire, mais je te connais suffisamment pour deviner qu’un jour viendra où tu te mettras à ruer dans les brancards. Tu n’es pas un fonctionnaire astreint à des heures fixes, que diable ! Et elle est assez intelligente pour savoir qu’on ne fait pas d’un cheval de course un cheval de trait ! Je lui en avais touché un mot…
— Et qu’a-t-elle répondu ?
— Qu’elle préférait un mari bien vivant à un mari mort, qu’il y avait un temps pour tout dans la vie et que celui des grandes aventures ne lui semblait plus de saison ! J’aurais dû lui répondre qu’il risquait de laisser la place à celui des aventures... extraconjugales !
— Je parierais qu’elle le sait… et même qu’elle le redoute. Cette fois particulièrement !
— Ah !
— Il est donc inutile de l’inquiéter pour rien. Je fais mes valises… et toi tu viens dîner ce soir rue Alfred-de-Vigny qui,
Weitere Kostenlose Bücher