La Chimère d'or des Borgia
! Ça m’a frappé. Pas toi ?
— Ma foi, non !
Avant de mettre en marche, Adalbert considéra un instant son ami.
— Décidément, ça ne s’arrange pas chez toi ! Mais je te rassure, s’il est présent, c’est moi qui m’en occuperai !
Or il y était. L’heure du thé battait son plein et, si John-Augustus brillait par son absence, Pauline, assise à une table fleurie près d’une fenêtre donnant sur le jardin, sacrifiait à l’agréable rite mondain en compagnie d’Ottavio Fanchetti en ayant l’air d’y prendre un certain plaisir. Un léger éclat de rire venait de lui échapper avant qu’elle ne porte sa tasse à ses lèvres.
— Les choses se présentent mal ! maugréa Morosini. Vas-y, toi ! Je vais t’attendre dans le hall !
— J’y vais, oui, mais toi, ce n’est pas dans le hall que tu vas patienter, c’est dans le salon de Psyché. Je t’envoie Pauline et, de mon côté, je dégusterai quelques pâtisseries avec Roméo. Allez ! Un peu de courage, que diable ! C’est d’une communication officielle qu’il s’agit et même d’un drame ! Tu n’as pas besoin d’une guitare pour charmer !
Le ravissant salon au décor Louis XVI avec meubles d’époque était vide, bienheureusement vide. Afin d’effacer toute idée d’intimité, Morosini ne s’assit pas et même se mit à arpenter de long en large le tapis d’Aubusson, ce qui eut pour avantage de calmer le rythme un peu trop rapide de son cœur. Il n’attendit pas une éternité.
— Vous désirez me parler, Aldo ? émit la voix paisible de Pauline.
Il se retourna pour lui faire face et s’incliner, mais il ne s’approcha pas. Cependant son regard s’adoucit sans qu’il en eût conscience. Elle était très belle dans une simple robe de velours noir que magnifiait une coulée de perles nouées négligemment, assez semblable à celle que portait l’autre jour Jeanne Toussaint. Sur l’ébène brillant de ses cheveux coiffés en chignon sur la nuque, elle portait un minuscule chapeau dont la voilette, amarrée par une agrafe de perles, ne tombait qu’au bout du nez.
— Oui, Pauline, et je vous demande d’excuser la façon cavalière de cette invitation mais, en l’absence de votre frère, vous seule pouvez entendre ce que j’ai à dire. J’ajoute que je suis seulement l’émissaire du commissaire Langlois ! Sans cela, je ne me serais jamais permis de vous déranger.
— Un ami ne dérange jamais… et nous pourrions peut-être nous asseoir ? proposa-t-elle enjoignant le geste à la parole. Qu’avez-vous donc à me dire de si solennel ?
Au demi-sourire dont elle accompagna ces quelques mots, il crut sentir qu’elle se moquait un peu de lui.
— Jugez vous-même : votre femme de chambre vient d’échapper à un nouvel attentat.
— Quoi ?
— Rassurez-vous, elle n’a rien et ne s’en est pas rendu compte. Malheureusement l’un des deux policiers en poste devant sa chambre est un jeune qui a été trop rapide ou trop adroit : il a tué net l’agresseur, ce qui nous prive d’en obtenir des aveux éventuels. C’était un Napolitain nommé Nardi.
Cette fois, elle ne souriait plus et, sous sa voilette, ses beaux yeux couleur de nuage semblaient encore agrandis.
— Comment se fait-il que l’on vous ait chargé de nous apprendre la nouvelle ? Le commissaire Langlois…
— … redoute vos réactions devant la proposition qu’il veut vous faire. Comme on ignore la durée d’un coma qui peut s’achever demain ou dans dix ans… et le danger qui en résulte, la clinique où vous l’aviez mise refuse de la garder. Les clients ont protesté… Quant à l’Hôtel-Dieu, il est beaucoup trop accessible, comme vous le savez, aussi Langlois voit-il une seule solution pour un séjour qui peut durer mais il craint que cela ne vous convienne pas : il s’agit d’une clinique psychiatrique de haut niveau, ne recevant que des malades importants et donc sévèrement gardée. Les visites y sont pratiquement interdites mais le confort est parfait. Elle est située hors de Paris et en contact permanent avec la Sûreté… assez onéreuse bien sûr, mais cela ne compte guère pour vous et, à l’exception de votre frère et de vous, l’adresse devra en être ignorée de tout votre entourage.
— C’est une prison que l’on nous propose ?
— Miss Adler n’est-elle pas déjà prisonnière d’un corps inerte ? C’est le seul endroit où l’on puisse répondre de sa sécurité. Au cas où vous refuseriez, on la
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