La Chimère d'or des Borgia
pourquoi ne serait-elle pas en train de goûter les charmes du bel automne suisse au bord d’un lac… et en compagnie d’amis de rencontre ?…
— Sans bagages et après avoir prévenu le Ritz qu’elle s’absenterait deux ou trois jours ? Allons donc !
— Avec de l’argent on obtient ce que l’on veut – par exemple des vêtements ! – dans n’importe quel coin d’Europe ! Quant au Ritz, il en a vu d’autres et on n’en demande pas plus dès l’instant où elle conserve sa chambre et ses affaires dedans ! Ces Américaines sont capables de tout…
— Et de n’importe quoi, je sais ! Mais que vous a-t-elle fait pour que vous la haïssiez à ce point ?
Sans lâcher sa cuillère, elle se laissa aller sur sa chaise, semblant soudain très lasse.
— Mais je ne la hais point !… Simplement elle me fait peur en raison de sa puissance sur vous ! Il suffit qu’elle paraisse et vous voilà sens dessus dessous !
— Où allez-vous chercher ça ?
— J’ai des yeux pour voir, des oreilles pour entendre. Quand elle vous parle, elle roucoule ! Et vous aussi !
— Moi, je roucoule ? se rebiffa-t-il, trop abasourdi pour trouver une parade.
On ne l’avait encore jamais comparé à un pigeon mais Plan-Crépin était hors d’elle.
— Parfaitement ! Et, bien entendu, quand vous l’avez rencontrée dans le sleeping, vous l’avez invitée à prendre une tasse de thé au wagon-restaurant en causant de la pluie et du beau temps ? s’écria-t-elle en se dressant sur ses pieds, ce qui amena Aldo à en faire autant.
— J’ai fait ce que j’avais à faire !
La phrase était maladroite. La riposte claqua :
— Oui. L’amour !
L’entrée inopinée de M me de Sommières sauva Marie-Angéline de la gifle qui démangeait la main d’Aldo.
— Qu’est-ce qui vous prend de hurler de la sorte, tous les deux ? On vous entend depuis l’escalier.
Plan-Crépin prit la lettre restée sur la table et la tendit à la marquise d’une main tremblante de colère :
— Tenez ! Lisez ! Je ne suis pas seule à penser que cet homme devient fou dès que son Américaine s’inscrit dans le paysage ! Et il était grand temps que quelqu’un lui dise ses quatre vérités ! Pauvre, pauvre Lisa !
Et elle sortit sans oublier de claquer la porte derrière elle. Les deux autres observèrent le phénomène sans souffler mot. Enfin, après un court silence, Tante Amélie soupira.
— Pauvre Plan-Crépin ! Elle déverse sur toi le chagrin que lui cause la désertion de notre Adalbert ! Ce qui ne veut pas dire que ta conduite la laisse indifférente. Seulement, toi, elle t’a sous la main !
— Plus pour longtemps ! Encore quelques heures et j’aurai cessé de troubler votre quiétude !
— Tu es bien le seul à le penser ! J’aperçois une suite infinie de jours où toi et Adalbert allez vous retrouver au centre de toutes nos conversations. Curieuse, cette lettre ! Elle semble animée des meilleures intentions, alors pourquoi est-elle anonyme ?
— On peut souhaiter mettre quelqu’un en garde, tout en ne désirant pas se faire connaître. Au surplus, cela tombe plutôt bien !
— Pourquoi ?
— Croyez-vous que cela m’amuse de rentrer tranquillement chez moi alors que Pauline est peut-être en danger ?
— Sans doute, mais tu n’as pas le choix si tu ne veux pas mettre ton couple en péril. Or, d’après ce que je crois comprendre, tu hésitais ! Donc cet avis est on ne peut plus opportun. Va prendre ton train, mon garçon, et laisse Langlois faire son travail. Au moins tu peux être certain qu’il le fera convenablement ! Et tu lui as promis de partir !
La journée se traîna lamentablement sous un jour bas et lugubre. Il faisait froid et, par-dessus le marché, une pluie têtue se déversait interminablement sur Paris : un temps capable de mettre à fond de cale le moral le plus solide. Ce que n’était pas celui d’Aldo. Pour ne pas emplir de fumée la demeure de Tante Amélie, il sortit griller quelques cigarettes sous les arbres dépouillés du parc Monceau à peu près désert. Même les nurses anglaises les mieux aguerries avaient renoncé à pousser leurs landaus armoriés sous cette tristounette contrefaçon du déluge. Le promeneur solitaire se garda d’ailleurs d’aller trop loin, le trop loin étant représenté par l’entrée du boulevard de Courcelles où l’on se trouvait à deux pas de chez Adalbert. La seule idée d’apercevoir les hautes fenêtres de son appartement haussmannien
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