La chute de l'Empire Romain
l’année soit changé. Que ceux donc qui, par leur vaillance et au prix de leur sang, étendent les frontières romaines ou ceux qui les conservent en faisant régner parmi nous l’équité des lois cessent de gémir à l’aspect du hideux prodige qui avait sali par son contact la divine récompense du consulat. Qu’ils sachent également qu’Eutrope est dépouillé de la dignité de patrice et de toutes les dignités moindres qu’il déshonorait par la cruauté de ses mœurs.
« Nous ordonnons enfin que toutes les statues et représentations quelconques qui lui ont été élevées dans les cités, villes, bourgs, lieux publics ou privés, en bronze, en marbre, métaux fusibles ou toute autre matière soient renversées, afin de ne plus offenser les regards comme une tache infamante pour notre siècle. »
Galla Placidia, peu après l’exécution d’Eutrope et la saisie de ses biens, était rentrée à Rome.
Elle était une enfant de onze ans qui fuyait l’intense lumière du jour, et se réfugiait dans les recoins obscurs des appartements impériaux où elle résidait, si bien qu’on ne la voyait pas, alors que, accroupie, aux aguets, elle surprenait les conversations de ces hommes et de ces femmes dont la peur déformait les traits et la voix. Ils tremblaient.
Les Barbares wisigoths d’Alaric avaient envahi l’Italie et marchaient vers Rome.
Ces hordes brûlaient, pillaient, violaient. Quarante ans plus tard, Galla Placidia ressentait encore le mépris qu’elle avait éprouvé à entendre les lamentations de ces riches Romains qui ne songeaient qu’à fuir.
Ils entassaient les bagages sur leurs voitures et les navires. Ils gagnaient la Sardaigne, la Corse, la Sicile.
Le peuple s’indignait de cette désertion. Et Galla Placidia avait entendu les humbles Romains hurler leur colère et leur mépris.
L’empereur Honorius et son général en chef Stilicon avaient ordonné, ces semaines-là, à l’automne de l’an 401, de réparer les murailles de la Ville.
Mais Galla Placidia avait aussi entendu la voix des chrétiens qui exhortait les Romains tentés de fuir ou de résister aux Wisigoths d’Alaric :
« Laissez là vos fables, Rome périra si Dieu le veut et s’il ne le veut pas elle restera debout.
« Quand Dieu décrétera sa ruine c’est qu’elle aura comblé la mesure des crimes.
« Dieu seul est un rempart et une garde ; priez-le, invoquez les saints, cela vaudra mieux que vos citadelles. Les murs de Jéricho étaient neufs et solides : ils ont croulé au premier son d’une trompette. »
Galla Placidia priait les saints et Dieu, mais elle se souvenait du sentiment de révolte qui l’avait saisie devant cette résignation chrétienne.
Elle avait onze ans mais elle était persuadée qu’un Romain devait combattre.
Et quarante ans plus tard, mère résolue, inquiète pour son fils Valentinien III, elle était toujours aussi résolue.
Elle s’interrogeait : et si cette religion de l’acceptation de la victoire des Barbares, ce choix de la prière au lieu du combat, avait été l’une des causes des malheurs de l’Empire romain ?
À ces chrétiens, réfugiés dans la prière et l’appel à Dieu, elle avait préféré exalter l’armée romaine telle que Stilicon l’avait constituée.
Elle retrouvait en lisant le poète Claudien son enthousiasme d’enfant, quand elle avait appris que les soldats de Stilicon avaient battu les Wisigoths d’Alaric, à Pollentia et à Vérone.
Ces victoires, on les devait peut-être à Dieu, mais d’abord à l’armée et à son chef.
« Jamais, écrivait Claudien, on ne vit réunis sous un seul commandement tant de troupes diverses, tant de costumes variés, tant de langages différents. Ici viennent les escadrons arméniens aux cheveux crépus, aux robes couleur d’herbe, dont les plis s’attachent sur la poitrine par un simple nœud ; là paraissent les Gaulois aux têtes blondes. Dans leurs bataillons ont pris place les peuples des contrées que traverse le Rhône impétueux, ou que baigne la Saône tranquille, et ceux que le Rhin éprouve à leur naissance, et les autres plus lointains qui boivent les eaux de la Garonne… Tous ces guerriers sont mus par une seule âme ; loin d’eux les blessures encore saignantes du cœur : le vaincu a déposé son ressentiment, le vainqueur son orgueil. Encore tremblants de leur courroux passé, l’oreille encore pleine du clairon des guerres civiles, ils conspirent à
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