La chute de l'Empire Romain
passera pas ainsi.
« Si le terrible Stilicon rougissait de combattre un tel ennemi avec l’épée, qu’a-t-il besoin de tirer la sienne ? Que le fouet retentisse, et l’on verra se courber des dos habitués au châtiment. »
Galla Placidia ne se lassait pas d’entendre, de relire ces textes d’autrefois.
Le passé s’ordonnait.
C’était un jour de novembre à Constantinople.
Galla Placidia voyait s’avancer, vers une tribune de marbre environnée de statues, d’aigles et de drapeaux, l’empereur d’Orient, Arcadius, qu’accompagnait Rufin le régent.
C’est là, dans ce champ de Mars de Constantinople, que l’empereur devait haranguer la foule et proclamer la nomination de Rufin, qui deviendrait ainsi son collègue à la tête de l’Empire.
Ces deux hommes se haïssaient. Et Eutrope et ses eunuques et l’armée voulaient empêcher Rufin d’accéder au pouvoir impérial.
Galla Placidia écoutait, se souvenait.
Elle avait été cette enfant debout au pied de la tribune de marbre. Elle avait admiré la beauté et la prestance de Rufin. Il pérorait : on eût dit que Rufin avait porté toute sa vie le manteau de pourpre et le diadème. Il dominait de la tête et des épaules l’empereur Arcadius, ce petit homme chétif et anxieux.
Autour d’eux, les soldats formaient un cercle de fer. Les glaives étaient tirés, et Rufin ne semblait pas voir cette foule hostile, qui grondait parce qu’il avait eu un geste désinvolte à l’égard de l’empereur.
L’infanterie et la cavalerie, et au premier rang de celle-ci les cataphractes , couverts d’une carapace d’acier, eux et leurs chevaux ressemblaient à des statues mouvantes.
Tout à coup, Rufin saisit l’empereur par son manteau, semblant lui adresser des reproches.
Les soldats et la foule hurlent. L’un des généraux − Gaïnas − interpelle Rufin.
« Misérable, tu comptes sur nos bras pour abattre notre empereur. Ne sais-tu donc pas d’où nous venons ? »
Ils ont combattu les Wisigoths d’Alaric aux côtés des troupes de Stilicon.
Dans le tumulte, un soldat s’élance vers la tribune, plonge son glaive dans le flanc de Rufin.
« Tiens, reçois ce coup, c’est Stilicon qui te le donne ! »
L’empereur, souillé du sang de Rufin, s’enfuit, protégé par les soldats. La foule déferle, déchire le corps de Rufin.
Un soldat détache la tête du tronc et la promène au bout d’une lance, une pierre dans la bouche.
Un autre s’empare de la main droite de Rufin encore accrochée à l’avant-bras, en recroqueville les doigts et va quêter avec cette coupe, de spectateur en spectateur.
« Une obole ! crie-t-il, donnez une obole à celui qui n’eut jamais assez ! »
Eutrope devenait, avec la mort de Rufin, le maître de l’Empire. Symmaque chuchotait à l’enfant Galla Placidia : « Rufin n’est qu’un vieux brigand qui a pillé tout l’univers. »
L’Empire, il y avait quarante années, c’était déjà cela, cet entrelacement de haines et de conjurations, de vengeances et d’assassinats.
Ces scènes hantaient les nuits de Galla Placidia.
Le corps en lambeaux de Rufin annonçait le sort réservé à son vainqueur, Eutrope. Car l’empereur Arcadius et l’impératrice Eudoxie voulaient briser le pouvoir d’Eutrope, ce grand chambellan qui gouvernait l’Empire après la mort de Rufin.
En 399, Eutrope, déclaré coupable de complot pour usurper l’Empire, fut décapité, et nombre d’eunuques qui le servaient, massacrés.
Souvent, la nuit, Galla Placidia se réveillait en sursaut, imaginant que le sang répandu chaque jour tout au long de l’histoire de l’Empire remplissait sa bouche.
On tuait pour ne pas être tué.
Dieu, le nouveau dieu de l’Empire, ce Christ de miséricorde, pouvait-il protéger l’Empire et les empereurs alors que le massacre des hommes se perpétuait ?
On tuait aussi pour dépouiller le rival, l’ennemi et s’approprier ses biens.
Galla Placidia découvrait que ses frères, l’empereur d’Orient, Arcadius, et l’empereur d’Occident, Honorius, s’étaient unis après la mort d’Eutrope, pour décider et déclarer :
« Nous réunissons aux revenus de notre trésor toutes les propriétés d’Eutrope, qui fut naguère préposé de notre chambre sacrée, l’ayant déclaré déchu de son rang et ayant purifié le consulat de la tache ignominieuse de son nom.
« Nous voulons en outre que tous ses actes soient abolis et que le titre de
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