La chute de l'Empire Romain
fils, l’empereur, afin de s’assurer qu’il vivait.
Dès que l’esclave était de retour, jurant qu’il avait vu l’empereur Valentinien III − que Dieu veille sur lui et l’inspire ! −, Galla Placidia s’enfermait, priait, remerciait le Seigneur, et s’allongeait apaisée, rêvant qu’elle allait enfin s’endormir, mais il suffisait de quelques instants pour que ses lèvres soient scellées et que le goût du sang remplisse sa bouche.
Elle savait qu’à nouveau les décombres du passé allaient l’ensevelir.
Elle le voulait.
Chaque jour, des lecteurs, grecs le plus souvent, lui lisaient les textes qu’ils avaient à sa demande rassemblés à Rome, à Milan, à Ravenne, et dans d’autres cités proches de frontières de l’empire d’Orient et de l’empire d’Occident.
Ils s’étaient rendus à Constantinople, et à Hippone, la cité d’Augustin, le saint homme. Ils avaient eu accès aux écrits de l’évêque mort en 430.
Plusieurs d’entre eux avaient été témoins des événements qu’ils évoquaient, et vieux déjà ils parlaient sans crainte.
La mort était là sur le seuil, et rien ne pourrait l’empêcher de pousser, quand bon lui semblerait, la porte de leur vie.
Galla Placidia écoutait sans jamais les interrompre.
Elle aussi attendait la visite prochaine de la mort. Mais elle désirait connaître toutes les conséquences de ce qu’elle avait voulu et accompli dans sa vie, et juger ces hommes qu’elle avait côtoyés au sommet de leur puissance.
Ils avaient changé son destin, et la haine et la mort, leur corruption, un jour les avaient précipités au fond de l’abîme.
En écoutant le poète Claudien qui avait stigmatisé ces prétendus Romains de Constantinople, ces Barbares devenus les courtisans de Rufin, les eunuques d’Eutrope, elle découvrait une ville, des mœurs dissolues.
Elle avait pourtant vécu, enfant, aux côtés de ces hommes-là, mais enfermée dans l’un des appartements de l’empereur d’Orient, son frère Arcadius, elle avait ignoré ce monde.
Claudien les faisait revivre.
« Là, se voyaient, avait-il écrit, de jeunes hommes arrogants, à côté de vieillards usés par la débauche qui ne connurent jamais d’autre triomphe que de tenir table éternellement, d’autre gloire que de varier des mets empoisonnés. C’est à force d’or que ces hommes excitent leur appétit, rien n’échappe à leur voracité, ni l’oiseau radieux de Junon, ni le babillard ailé que le noir Indien nous envoie. Leur gourmandise insatiable franchit les bornes de l’Empire, et les mers les plus lointaines viennent mêler pour eux leurs poissons à ceux des golfes de la Grèce.
« Ils n’ont souci que de leurs vêtements parfumés ; soulever le rire par une vaine saillie est leur plus belle victoire. Quelle recherche indigne de l’homme règne dans leur parure ! Que de labeur dans l’ajustement efféminé de leur chevelure ! On dirait qu’ils ont peine à traîner la soie qui les couvre.
« Les Huns ou les Sarmates peuvent menacer les murs de leur ville : le théâtre restera-t-il debout, voilà la question qui les intéresse. Ces gens-là n’estiment que Constantinople, n’admirent que leurs palais reflétés par les eaux du Bosphore ; Rome est l’objet de leur mépris, l’Italie de leur indifférence : c’est ainsi qu’ils sont romains.
« Mais aussi donnez-leur un chœur de danse, vous verrez avec quelle grâce ils le conduisent, et s’il faut diriger un char dans la carrière, ils défieront les meilleurs cochers.
« Le peuple ou plutôt la basse populace a fourni la plupart de ces hommes, opulents aujourd’hui et chefs de nos armées. On en compte plus d’un qui garde aux pieds et aux jambes l’empreinte des fers qu’il a portés ; ils siègent maintenant parmi nos magistrats, ils rendent la justice le sceau de l’infamie au front, et les stigmates qu’ils étalent à tous les yeux proclament l’indignité de leur fortune.
« Il ne reste plus qu’une chose, c’est que tous les eunuques du monde, les égaux, les compagnons d’Eutrope − consul − viennent occuper les sièges de ces faux pères de la patrie ! Allons, eunuques, accourez : venez faire cortège à votre chef ! Patriciens d’un nouveau genre, quittez la chambre à coucher, votre place est au tribunal ; vous avez suivi assez longtemps la litière des matrones, on vous attend derrière la chaise des consuls, ou plutôt, non, cela ne se
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