La chute de l'Empire Romain
pleins sous les plis des voiles, n’était plus qu’un morceau de métal.
C’était comme une vision du destin qui guettait chaque vivant, et qui annonçait le sort de l’Empire, puissant et orgueilleux, et tout à coup devenu morceau de matière informe.
La barbarie, la mort au bout de la vie.
Galla Placidia avait enfoncé ses ongles dans ses paumes, elle avait mordu ses lèvres jusqu’au sang.
Elle ne voulait pas croire ce vieux Romain qui s’était rapproché d’elle :
« Tout est fini, murmurait-il. Rome renie la Virtus, qui l’a fait vivre tant de siècles, elle provoque elle-même sa destinée. »
Galla Placidia s’était éloignée.
Elle en faisait serment devant Dieu, elle resterait fidèle à Rome.
On pouvait fondre les statues, elle, fille de l’empereur Théodose le Grand, elle résisterait aux flammes.
On ne la détruirait pas.
Elle ruserait.
Pour conduire les hommes, il fallait les tromper, parler leur langue, les flatter, faire mine de leur obéir, oser prendre les apparences d’une Barbare puisqu’ils l’étaient.
Mais dans sa poitrine, il y aurait toujours une Virtus indestructible. Et à la fin, elle, Galla Placidia, serait victorieuse. Dieu l’aiderait.
Il ne pouvait vouloir que l’Empire romain disparaisse.
11.
Et si Dieu avait décidé de laisser les Barbares envahir, dépecer et détruire l’Empire ?
En ces mois-là de l’an 409, Galla Placidia avait douté de la volonté de Dieu et l’incertitude s’était répandue en elle, comme un poison auquel souvent elle s’abandonnait.
Il désagrégeait cette Virtus qu’elle gardait dans sa poitrine.
Alors, durant plusieurs jours − et surtout plusieurs nuits −, elle ressassait ce qu’elle avait entendu.
Des sénateurs romains de plus en plus nombreux faisaient l’éloge d’Alaric et de son armée de Goths.
Pourquoi ne pas conclure avec ce Barbare talentueux la paix, et lui confier en échange d’un titre militaire la charge de combattre ces armées romaines qui saccageaient la Gaule avec à leur tête l’usurpateur qui s’était fait reconnaître par ses soldats sous le nom de Constantin III ?
Les Goths d’Alaric seraient aussi envoyés sur le Rhin, pour arrêter ce flot barbare qui avait commencé à franchir le fleuve gelé dans la nuit du 31 décembre 406, et qui depuis ne cessait de se répandre.
La ville de Trèves avait été prise et incendiée par des Francs dès les premiers mois de l’an 407. Et de nouvelles légions romaines − peuplées de Barbares − se révoltaient, participaient au pillage.
L’Empire se défaisait.
Des sénateurs guidés par le plus riche d’entre eux, Priscus Attale, quittaient Rome, afin de rencontrer à Ravenne l’empereur d’Occident, Honorius.
Galla Placidia avait décidé de se joindre à eux.
Il lui avait suffi de vivre quelques jours aux côtés de Priscus Attale, pour découvrir que le sénateur n’aspirait qu’au titre d’empereur et qu’il était prêt à l’obtenir du roi des Goths, Alaric.
Et habilement, celui-ci faisait parvenir à l’ambitieux sénateur le diadème et le manteau impériaux.
Attale se proclamait empereur, promettait à Alaric un pouvoir équivalent à celui qu’avait possédé Stilicon.
Et le Sénat de Rome se ralliait à cette proposition. Alaric serait généralissime d’Occident.
Le désespoir et la colère, le mépris et même la haine, comme une nausée, avaient submergé Galla Placidia.
À Ravenne, elle avait obtenu de rencontrer son frère.
Mais l’empereur Honorius la recevait, entouré d’eunuques parés comme des femmes.
Il se moquait des ambitions d’Attale, disait-il. Il refusait de traiter avec Alaric.
Avait-il risqué sa vie pour qu’au Vandale Stilicon succède le Goth Alaric ?
La majesté romaine, avait-il ajouté avec emphase, ne fléchirait pas devant quelques Barbares misérables.
Puis Honorius avait semblé oublier la présence de Galla Placidia.
Elle s’était retirée, apprenant quelques jours plus tard qu’Honorius avait écarté du pouvoir Olympius, l’homme qui avait succédé à Stilicon. L’empire d’Occident était tombé ainsi entre les mains des coteries d’eunuques.
Quant à Attale, ce « simulacre d’empereur », rentré à Rome, il s’était installé au Palatin, et les officiers goths le surveillaient.
Galla Placidia aussi avait regagné Rome. Elle avait l’impression que son visage était paralysé, que plus jamais une expression ne pourrait
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