La Chute Des Géants: Le Siècle
pour sa patrie, et il espérait mourir bravement, mais il désirait
voir son enfant. C’était le premier et il était impatient d’apprendre à le
connaître, de le voir grandir en force et en sagesse, de l’aider à devenir un
adulte. Il ne voulait pas que son fils ou sa fille soit privé de père.
Il traversa la Seine pour gagner
l’esplanade des Invalides. Gallieni avait établi son quartier général au lycée
Victor-Duruy, un bâtiment tout proche, protégé par des arbres dont l’entrée
était gardée par des soldats à l’uniforme bien plus élégant que le sien,
couleur kaki : tunique bleue, pantalon et képi rouges. Contrairement aux
Anglais, les Français n’avaient pas encore compris que la précision des fusils modernes
rendait nécessaire de se fondre dans le paysage.
Fitz était bien connu des
sentinelles, qui le laissèrent passer. Les murs de ce lycée de jeunes filles
étaient tapissés de dessins représentant des fleurs et des animaux, ses
tableaux noirs, mis à l’écart, couverts de conjugaisons latines. Les armes des
sentinelles et les bottes des officiers semblaient sacrilèges dans ce temple de
la bonne éducation.
Dès qu’il entra dans la salle de
réunion, il perçut l’excitation qui y régnait. Sur le mur était accrochée une
grande carte de France où les positions ennemies étaient matérialisées par des
épingles. Grand et mince, Gallieni se tenait droit malgré le cancer de la
prostate qui l’avait obligé à prendre sa retraite en février. Sanglé dans son
uniforme, il fixait la carte d’un air agressif derrière son pince-nez.
Fitz salua le Colonel Dupuys,
son homologue français, puis lui serra la main à la française avant de lui
demander tout bas ce qui se passait.
« Nous sommes en train de
pister von Kluck », répondit Dupuys.
Gallieni disposait d’une
escadrille de neuf avions vétustés grâce auxquels il espionnait les mouvements
des envahisseurs. Le général von Kluck commandait la 1 ère armée
allemande, la plus proche de Paris.
« Qu’est-ce que vous
avez ? demanda Fitz.
— Deux rapports. »
Dupuys désigna la carte. « D’après la reconnaissance aérienne, von Kluck
fait route au sud-est, en direction de la Marne. »
Cela confirmait les observations
des aviateurs anglais. Si elle poursuivait sa trajectoire, la 1 ère armée passerait à l’est de Paris. Von Kluck commandant l’aile droite des forces
allemandes, cela signifiait que celles-ci contourneraient entièrement la
capitale. Paris serait-elle sauvée après tout ?
« Le rapport d’un éclaireur
à cheval corrobore cette information », acheva Dupuys.
Fitz acquiesça d’un air pensif. « La
théorie militaire des Allemands veut que l’on commence par détruire l’armée de
l’ennemi avant de s’emparer de ses villes.
— Mais vous ne comprenez
donc pas ? dit Dupuys, tout excité. Ils exposent leur flanc ! »
Fitz n’y avait pas pensé. Il ne
s’était préoccupé que du sort de Paris. Dupuys avait raison, comprit-il, et
cela expliquait la mine ragaillardie des militaires français. Si leurs
informations étaient exactes, von Kluck avait commis une erreur militaire classique.
Le flanc d’une armée était plus vulnérable que sa tête. Une attaque par le
flanc revenait à lui infliger un coup de couteau dans le dos.
Comment von Kluck avait-il pu
faire une telle bévue ? Il devait estimer que les Français étaient trop
affaiblis pour contre-attaquer.
Ce en quoi il se trompait.
« Je pense que ceci devrait
vous intéresser, mon général, dit Fitz à Gallieni en lui tendant son enveloppe.
C’est le rapport de notre reconnaissance aérienne de ce matin.
— Ah ! ah ! »
fit Gallieni avec impatience.
Fitz s’approcha de la carte.
« Si je puis me permettre ? »
Le général lui répondit d’un
signe de tête. Les Anglais n’étaient pas très populaires dans l’armée
française, mais toute information était la bienvenue.
Fitz consulta le rapport en version
originale et dit : « D’après nos aviateurs, l’armée de von Kluck se
trouve ici. » Il planta une nouvelle épingle dans la carte. « Et elle
se déplace dans cette direction. » Cela confirmait ce que savaient les
Français.
Le silence régna un instant dans la
salle.
« C’était donc vrai, souffla
Dupuys. Ils ont exposé leur flanc. »
Les yeux du général Gallieni
brillèrent derrière son pince-nez. « Bien, conclut-il, le moment est venu
de passer à
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