La Chute Des Géants: Le Siècle
antérieurement.
Fitz rédigea son rapport en
français puis monta dans sa voiture. Il parcourut à vive allure la distance qui
le séparait de la capitale, croisant une caravane de camions, de véhicules en
tout genre et de charrettes surchargés d’enfants, de femmes et de meubles,
fuyant vers le sud pour échapper aux Allemands.
Arrivé en ville, il fut retardé
par une troupe d’Algériens au teint basané qui se rendait d’une gare à l’autre.
Leurs officiers étaient à dos de mulets et étaient vêtus de capes rouges. Les
femmes offraient aux soldats des fruits et des fleurs, les cafetiers leur
apportaient des boissons fraîches.
Lorsqu’ils furent passés, Fitz
fonça aux Invalides pour livrer son rapport au lycée Victor-Duruy.
La reconnaissance aérienne
anglaise confirmait, une fois de plus, les rapports français. Certains corps
d’armée allemands battaient en retraite. « Nous devons intensifier
l’attaque ! s’écria Gallieni. Où sont les Anglais ? »
Fitz s’approcha de la carte et
marqua les positions anglaises, précisant les objectifs définis par Sir John
pour ce jour.
« Ça ne suffit pas !
rugit le vieux général. Vous devez être plus agressifs ! Il faut que vous
attaquiez de façon que von Kluck soit trop occupé pour renforcer son flanc.
Quand comptez-vous traverser la Marne ? »
Fitz n’avait pas de réponse à lui
donner. La honte l’envahit. S’il approuvait tous les commentaires caustiques de
Gallieni, il ne pouvait le reconnaître publiquement, aussi se contenta-t-il de
dire : « Je veillerai à appuyer vivement votre demande auprès de Sir John,
mon général. »
Mais Gallieni cherchait déjà à
compenser la défaillance des Anglais. « Dès cet après-midi, nous allons
envoyer la 7 e division du 4 e corps renforcer
les troupes de Maunoury sur les berges de l’Ourcq », annonça-t-il.
Son état-major s’affaira aussitôt
pour donner les ordres nécessaires.
« Mon général, dit alors le Colonel Dupuys,
nous n’avons pas assez de trains pour qu’ils soient à pied d’œuvre ce soir.
— Dans ce cas, qu’on prenne
des voitures !
— Des voitures ? répéta
Dupuys, pris de court. Mais où trouverons-nous assez de voitures ?
— Recrutez des
taxis ! »
Tous les regards se tournèrent
vers le général. Avait-il perdu l’esprit ?
« Téléphonez au préfet de
police, reprit Gallieni. Dites-lui d’ordonner à ses hommes d’arrêter tous les
taxis de la ville, de faire descendre les passagers et de nous envoyer les
chauffeurs. Nous embarquerons des soldats dans leurs voitures pour les envoyer
sur le champ de bataille. »
Un grand sourire éclaira le
visage de Fitz lorsqu’il comprit que Gallieni parlait sérieusement. C’était le
genre d’attitude qu’il aimait : faire feu de tout bois, pourvu qu’on
obtienne la victoire.
Dupuys haussa les épaules et
décrocha son téléphone. « Passez-moi le préfet de police, et vite »,
ordonna-t-il.
Il faut que je voie ça, se dit
Fitz.
Il sortit et alluma un cigare.
L’attente ne fut pas longue. Au bout de quelques minutes à peine, une Renault
rouge traversa le pont Alexandre- III , contourna la vaste pelouse des Invalides et se gara devant
l’hôtel. Bientôt, deux autres taxis la rejoignirent, puis une douzaine, une
centaine d’autres.
En deux heures, plusieurs centaines
de taxis rouges identiques étaient rangés devant les Invalides. Fitz n’avait
jamais rien vu de tel.
Adossés à leurs véhicules, les
chauffeurs fumaient la pipe et parlaient avec animation en attendant les
instructions. Chacun y allait de sa théorie pour expliquer leur présence en ce
lieu.
Quand Dupuys finit par sortir du
lycée, il traversa la rue, un mégaphone dans une main et une liasse d’ordres de
réquisition dans l’autre. Il monta sur le capot d’une voiture et le silence se
fit.
« Le gouverneur militaire de
Paris ordonne à cinq cents taxis de se rendre à Gagny », annonça-t-il.
Les chauffeurs, incrédules,
avaient les yeux rivés sur lui.
« Chaque voiture embarquera
cinq soldats et les conduira à Nanteuil-le-Haudouin. »
Située à cinquante kilomètres au nord-est,
cette localité était toute proche du front. Les chauffeurs de taxi commençaient
à comprendre. Ils échangèrent des regards et hochèrent la tête, tout sourires,
manifestement enchantés de participer à l’effort de guerre, surtout de cette
façon peu orthodoxe.
« Avant de partir, vous
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