La Chute Des Géants: Le Siècle
gouverneur militaire de Paris. On avait convaincu ce vieux
soldat bourru de sortir de sa retraite. Il était connu pour organiser des
réunions où personne n’avait le droit de s’asseoir : selon lui, cela
encourageait les gens à prendre des décisions sans traîner.
La proclamation était rédigée
avec sa sécheresse coutumière :
Les membres du gouvernement de
la République ont quitté Paris pour donner une impulsion nouvelle à la défense
nationale.
Fitz était atterré. Le
gouvernement avait pris la fuite ! Ces derniers jours, une rumeur
persistante affirmait que les ministres allaient filer à Bordeaux, mais les
hommes politiques avaient hésité à abandonner la capitale. Voilà qu’ils étaient
partis. C’était de très mauvais augure.
La suite était plus
énergique :
J’ai reçu le mandat de
défendre Paris contre l’envahisseur.
Ah ! songea Fitz, Paris
n’est donc pas disposée à se rendre. La ville se battrait. Bien ! Cela
servait les intérêts de l’Angleterre. Si la capitale devait tomber, au moins
l’ennemi aurait-il chèrement payé sa chute.
Ce mandat, je le remplirai jusqu’au
bout.
Fitz ne put s’empêcher de sourire.
Dieu bénisse les briscards de son espèce !
Les Parisiens qui l’entouraient
étaient apparemment divisés. Certains étaient franchement admiratifs. Gallieni
était un guerrier, déclara quelqu’un d’un air satisfait ; il
n’abandonnerait pas Paris. D’autres se montraient plus réalistes. « Le
gouvernement nous a lâchés, dit une femme, ça veut dire que les Allemands
seront là demain au plus tard. » Un homme qui portait une mallette déclara
avoir envoyé ses enfants chez son frère, à la campagne. Une dame bien mise
avoua avoir stocké trente kilos de haricots secs dans son garde-manger.
Fitz avait l’impression que la
contribution anglaise à l’effort de guerre et son rôle en particulier étaient
devenus d’autant plus importants.
Il était d’humeur sombre
lorsqu’il reprit le chemin du Ritz.
Dès qu’il entra dans le hall de
son hôtel préféré, il se précipita dans une cabine téléphonique pour informer
l’ambassadeur de Grande-Bretagne de la proclamation de Gallieni, au cas où la
nouvelle n’aurait pas encore atteint la rue du Faubourg-Saint-Honoré.
Comme il sortait de la cabine, il
tomba sur le Colonel Hervey, l’aide de camp de Sir John.
Celui-ci regarda attentivement
son smoking : « Commandant Fitzherbert ! Que diable faites-vous
dans cette tenue ?
— Bonjour, mon Colonel »,
dit Fitz en faisant la sourde oreille. Il était sorti cette nuit, c’était
évident.
« Il est neuf heures du
matin, bon sang ! Vous ne savez pas que nous sommes en
guerre ? »
Cette question n’appelait pas de
réponse. « Puis-je faire quelque chose pour vous, mon Colonel ?»
demanda Fitz sans se démonter.
Hervey était une brute qui
détestait ceux qu’il ne parvenait pas à intimider. « Un peu moins
d’insolence, commandant, dit-il. Nous avons déjà notre compte de fouineurs avec
ceux que nous envoie Londres. »
Fitz haussa le sourcil. « Lord
Kitchener est ministre de la Guerre.
— Les politiciens seraient
bien inspirés de nous laisser faire notre travail. Mais il semblerait que
quelqu’un qui a des relations haut placées ait cru bon de les ameuter. »
Il jeta à Fitz un regard soupçonneux, sans toutefois oser l’accuser à haute
voix.
« Il n’est pas étonnant que
le ministère de la Guerre se soit fait du souci, dit Fitz. Dix jours de repos,
quand les Allemands sont aux portes de Paris !
— Les hommes sont
épuisés !
— Dans dix jours, la guerre
sera peut-être finie. Pourquoi sommes-nous ici, sinon pour sauver Paris ?
— Kitchener a obligé Sir John
à quitter son quartier général alors qu’une bataille décisive se livrait,
bredouilla Hervey.
— Sir John n’était pas
pressé de rejoindre ses troupes, me semble-t-il, railla Fitz. Je l’ai vu dîner
au Ritz ce soir-là. » Il était conscient de son insolence, mais c’était
plus fort que lui.
« Disparaissez ! »
grommela Hervey.
Fitz tourna les talons et monta à
l’étage.
Il était moins insouciant qu’il
ne l’avait laissé paraître. Jamais il n’accepterait de faire des courbettes
devant un imbécile comme Hervey, mais il n’en tenait pas moins à mener une
brillante carrière militaire. L’idée qu’on puisse le comparer défavorablement à
son père lui
Weitere Kostenlose Bücher