La Chute Des Géants: Le Siècle
d’intervenir ? Il ne pourrait pas rester sans rien
faire, au risque de passer pour un idiot. Wilson avait beau lui soutenir que la
rupture des relations diplomatiques ne mènerait pas nécessairement à la
guerre, Gus avait le sentiment effrayant que la crise échappait à tout contrôle.
Mais le kaiser ne voulait pas se
battre contre l’Amérique et, à l’immense soulagement de Gus, le bluff de Wilson
s’avéra payant. À fin du mois d’août, les Allemands s’engagèrent à ne pas
attaquer sans sommation les navires transportant des passagers. Si ce n’était
pas pleinement satisfaisant, au moins était-on sorti de l’impasse.
Les journaux américains, aveugles
aux nuances, rivalisèrent d’enthousiasme. Le 2 septembre, d’une voix
triomphante, Gus lut à Wilson un paragraphe extrait d’un article dithyrambique
paru le jour même dansl ’EveningPost de New York :
« Sans avoir eu à mobiliser un seul régiment ni à armer le moindre
bâtiment, par ses seules qualités de persistance et de ténacité, par sa fermeté
à invoquer le droit, il a su contraindre la plus fière, la plus arrogante et la
mieux armée des nations à capituler.
— Ils n’ont pas encore
capitulé », laissa tomber Wilson.
9.
Un soir de la fin du mois de
septembre, Lev fut conduit à l’entrepôt. Là, on le dévêtit entièrement et on
lui ligota les mains dans le dos. Vialov surgit de son bureau. « Chien !
Espèce de sale chien enragé ! hurla-t-il.
— Qu’est-ce que j’ai fait ?
implora Lev.
— Tu as le culot de me le
demander, chien galeux ? »
Lev fut terrifié. Comment
allait-il se sortir de là si Vialov refusait de l’écouter ?
Celui-ci retirait déjà sa veste
et remontait ses manches. « Amenez-le-moi ! »
Norman Niall, le comptable
gringalet, alla dans le bureau et revint avec un knout.
Lev regarda fixement l’instrument
de torture russe utilisé traditionnellement pour châtier les criminels. Au bout
d’un long manche de bois, trois lanières en cuir durci étaient terminées
chacune par une bille de plomb. Lev n’avait jamais subi le supplice du fouet,
mais il avait eu l’occasion d’assister à ce châtiment couramment pratiqué dans
les campagnes pour punir les larcins ou l’adultère. À Saint-Pétersbourg, les
opposants politiques étaient souvent condamnés au knout. Vingt coups pouvaient
laisser un homme infirme, cent le tuer.
Dans son gilet barré d’une chaîne
de montre en or, Vialov brandit l’instrument. Niall ne put réprimer un rire
nerveux. Ilia et Théo ouvrirent des yeux intéressés.
Lev se recroquevilla sur lui-même ;
en appui sur une pile de pneus, il présenta son dos. Avec un sifflement cruel,
le fouet s’abattit, entamant les chairs de son cou et de ses épaules. Il hurla
de douleur.
Vialov lui assena un deuxième
coup de fouet. La souffrance fut pire encore.
Comment ai-je pu être aussi
stupide ? se dit Lev. Baiser une pucelle, la fille d’un homme
tout-puissant et brutal ? Où est-ce que j’avais la tête ? Pourquoi
est-ce que je ne peux jamais résister à la tentation ?
Vialov frappa encore. Cette fois,
Lev se projeta le plus loin possible pour esquiver le coup. Seules les
extrémités des lanières l’atteignirent, mais elles s’incrustèrent profondément
dans sa chair. La douleur fut intolérable. Il hurla encore ; comme il
cherchait à s’enfuir, les hommes de Vialov le ramenèrent en riant au milieu de
la pièce.
Vialov brandit le fouet, abaissa
le bras et interrompit son geste en voyant que Lev se jetait de côté, puis
frappa. Le coup lui cingla les jambes. Lev vit le sang jaillir des entailles.
Quand Vialov recommença, il se précipita pour lui échapper, trébucha et s’écroula
sur le sol en béton. Il était allongé sur le dos, à bout de force Vialov en
profita pour le frapper au ventre et aux cuisses. Lev roula sur lui-même,
terrorisé, trop faible pour se relever. Le knout s’abattait toujours. Il
parvint à rassembler l’énergie nécessaire pour se traîner sur une courte
distance, à quatre pattes comme un bébé, mais il dérapa dans son sang et le
fouet l’atteignit encore. Ses hurlements se turent, il n’avait plus la force de
crier. Vialov allait le battre à mort, c’était évident. Lev aspira à l’oubli
éternel.
Mais Vialov lui refusa ce soulagement.
Haletant, il lâcha le knout. ««Je devrais te tuer, mais je ne peux pas »,
dit-il quand il eut repris son souffle.
Lev gisait dans son
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