La Chute Des Géants: Le Siècle
peut-être. Saurait-il garder la tête froide ? Et s’il
se roulait en boule par terre, les yeux fermés ? Et s’il fondait en
larmes, ou prenait ses jambes à son cou ? La honte le poursuivrait jusqu’à
son dernier jour. Je préférerais encore mourir, se dit-il. Mais aurait-il la
même conviction quand les tirs commenceraient ?
Ils avancèrent tous de quelques
pas.
Il sortit son portefeuille où il
avait rangé une photo de Mildred en manteau et en chapeau – il aurait
préféré se la rappeler telle qu’elle était le soir où il l’avait rejointe dans
sa chambre.
Il se demanda ce qu’elle faisait
en ce moment. On était samedi, elle devait être chez Mannie Litov, en train de
coudre des uniformes ; au milieu de la matinée, les ouvrières feraient une
pause et Mildred leur raconterait peut-être des blagues.
Il pensait à elle tout le temps.
Leur nuit avait été le prolongement de sa leçon de baisers. Elle l’avait
empêché de se précipiter sur elle comme un taureau contre une barrière ;
elle lui avait appris la lenteur, des approches plus coquines, des caresses
extraordinaires, plus agréables encore que tout ce qu’il avait pu imaginer.
Elle avait embrassé son sexe, lui avait demandé ensuite de lui faire la même
chose. Et, surtout, elle lui avait montré comment la faire crier de plaisir.
Finalement, elle avait pris un préservatif dans le tiroir de sa table de nuit.
Il n’en avait encore jamais vu. Les garçons en parlaient entre eux et
appelaient ça des « popols en caoutchouc ». C’était elle qui le lui
avait enfilé, et ce geste même lui avait semblé délicieux.
Pour Billy, cette nuit avait été
comme un rêve, au point qu’il se demandait parfois si tout cela était vraiment
arrivé. Rien dans son éducation ne l’avait préparé à la liberté de Mildred ni à
sa gourmandise amoureuse, et cela avait été une révélation. Ses parents, comme
la majorité des habitants d’Aberowen, auraient jugé la jeune femme
infréquentable. Pensez donc, deux enfants et pas de mari ! Elle aurait pu
avoir six enfants que cela n’aurait rien changé pour Billy. Elle lui avait
ouvert les portes du paradis et il n’avait plus qu’un déSir : y revenir.
Voilà pourquoi il voulait absolument survivre à cette journée – pour
revoir Mildred et passer une nouvelle nuit avec elle.
Les copains d’Aberowen avancèrent
encore en traînant les pieds, se rapprochant lentement de la première tranchée.
Billy découvrit qu’il transpirait à grosses gouttes.
Owen Bevin se mit à pleurer. « Reprends-toi,
soldat Bevin, lui lança Billy d’un ton bourru. À quoi ça te sert de chialer ?
— Je veux rentrer chez moi.
— Moi aussi, p’tit gars, moi
aussi.
— Je vous en supplie, mon
caporal, je ne pensais pas que ça serait comme ça.
— Quel âge tu as, dis-moi ?
— Seize ans.
— Merde ! lâcha Billy.
Comment tu as réussi à te faire engager ?
— Quand j’ai dit au docteur
que j’avais seize ans, il a répondu : « Rentre chez toi et reviens
demain matin. Tu es grand pour ton âge, tu pourrais très bien avoir dix-huit
ans d’ici demain. » Il m’a fait un clin d’œil pour que je comprenne
que je n’avais qu’à mentir.
— Le salaud ! »
Billy regarda Owen. Ce gamin ne serait bon à rien sur le champ de bataille. Il
tremblait comme une feuille et sanglotait.
Billy s’adressa au lieutenant
Carlton-Smith. « Mon lieutenant, le soldat Bevin n’a que seize ans.
— Bon sang !
— Il faut le renvoyer. Il va
nous attirer des ennuis.
— Je ne sais pas », dit
Carlton-Smith dont la mine déconfite trahissait l’impuissance.
Billy se souvint comment Prophète
s’y était pris pour se faire un allié de Mortimer. Prophète était un bon chef,
il savait anticiper les problèmes et agir en conséquence. À l’inverse, Carlton-Smith
était manifestement dépassé, c’était pourtant lui, l’officier. Voilà pourquoi
on appelle ça le système de classes, aurait dit Da.
Une minute plus tard,
Carlton-Smith se dirigea vers Fitzherbert et lui parla à voix basse. Le
commandant secoua la tête en signe de refus et Carlton-Smith haussa les
épaules, résigné.
Son éducation n’avait pas préparé
Billy à assister à une cruauté sans réagir. « Ce gamin n’a que seize ans,
mon commandant !
— Il fallait le dire plus
tôt, rétorqua Fitzherbert. Et vous n’avez pas à m’adresser la parole sans y
avoir été invité,
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