La Chute Des Géants: Le Siècle
affreusement
enchevêtrés, certains aussi paisiblement allongés que s’ils dormaient, d’autres
encore enlacés comme des amants.
Il y en avait des milliers.
« Dieu nous protège ! »
murmura Billy.
Il en avait la nausée. Dans quel
monde vivait-on ? Dans quel dessein Dieu pouvait-il autoriser une telle
boucherie ?
La compagnie A se mit en
ligne, Billy et le reste de la compagnie B prirent place derrière elle.
L’horreur de Billy se mua en
colère. C’était le Comte Fitzherbert et ses semblables qui avaient
organisé cela. C’étaient eux, les responsables de ce massacre, eux qui étaient
à blâmer. Il faudrait les passer par les armes, ces salauds ! pensa-t-il
avec rage. Tous jusqu’au dernier !
Le lieutenant Morgan donna un
coup de sifflet ; la compagnie A s’élança comme au rugby.
Carlton-Smith siffla à son tour, et Billy partit au petit trot.
C’est alors que les mitrailleuses
allemandes ouvrirent le feu.
Les soldats de la compagnie A
commencèrent à s’écrouler. Morgan fut le premier. Ils n’avaient même pas tiré
un coup de feu. Ce n’était pas une bataille, c’était un carnage. Billy regarda
les hommes qui l’entouraient. Il ne se laisserait pas faire. Les officiers
avaient failli à leur mission. C’était aux soldats de décider. Qu’ils aillent
au diable, avec leurs ordres. « Qu’ils aillent se faire foutre !
hurla-t-il. Planquez-vous ! » Et il se jeta dans un trou d’obus.
Les parois étaient boueuses et le
fond rempli d’eau nauséabonde, mais il s’aplatit avec soulagement contre la
terre humide pendant que les balles sifflaient au-dessus de sa tête. Un instant
plus tard, Tommy atterrissait à côté de lui, suivi du reste de l’escouade. Des
soldats d’autres escouades les imitèrent.
Fitzherbert passa devant leur
trou en courant : « Continuez à avancer, soldats ! »
« S’il insiste, je le
descends, ce salaud ! »
Au même instant, Fitzherbert fut
fauché par un tir de mitrailleuse. Du sang gicla de sa joue, une de ses jambes
fléchit et il s’affaissa.
Les officiers risquaient leur vie
autant que leurs hommes, comprit Billy. Sa colère s’apaisa, laissant place à la
honte. Comment l’armée britannique pouvait-elle être aussi lamentable ?
Après tous ces efforts, tout cet argent dépensé, tous ces mois de préparatifs,
la grande offensive était un fiasco. Quelle humiliation !
Billy regarda autour de lui. Fitz
gisait à terre, sans connaissance. Ni le lieutenant Carlton-Smith ni le sergent
Jones n’étaient en vue. Les hommes de son escouade avaient les yeux braqués sur
lui. Il n’était que caporal, mais ils attendaient ses ordres.
Il se tourna vers Mortimer, qui
avait été officier. « Est-ce que tu crois que…
— Ne me regarde pas comme
ça, le Gallois, lui rétorqua froidement celui-ci. C’est toi, le caporal. »
Il ne pouvait compter que sur
lui-même.
Il était inenvisageable de faire
reculer ses hommes. Ceux qui étaient déjà tombés seraient morts pour rien. Il
fallait tirer quelque chose de tout cela, accomplir une action qui les
grandisse à leurs propres yeux.
Mais il n’était pas question non
plus de courir sous le feu des mitrailleuses ennemies.
La première chose à faire était d’évaluer
la situation.
Ayant retiré son casque en acier,
il l’agita à bout de bras au-dessus du cratère, comme un leurre. Juste pour
voir si un Allemand regardait de ce côté. Il ne se passa rien.
Il sortit la tête du trou, s’attendant
à tout moment à recevoir une balle dans le crâne.
Il parcourut des yeux le no man’s
land jusqu’au promontoire tenu par l’ennemi ; son regard remonta ensuite
le long de la pente, au-dessus des barbelés allemands, vers leur ligne de front
creusée à flanc de coteau. Quantité de fusils pointaient à travers les trous
dans le parapet. « Où est-ce qu’ils ont bien pu planquer leur foutue
mitrailleuse ?
— Pas la moindre idée »,
répondit Tommy.
La compagnie C les devança
en courant. Des soldats se mirent à l’abri, d’autres maintinrent leur position.
La mitrailleuse ouvrit à nouveau le feu, balayant la ligne ; les hommes s’écroulèrent
comme des quilles. Billy avait dépassé le stade de l’ébahissement. Il cherchait
à repérer d’où venaient les balles.
« Je l’ai, dit Tommy.
— Où ça ?
— Tire une ligne d’ici jusqu’aux
buissons au sommet de la colline.
— Oui.
— Tu vois l’endroit où cette
ligne
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