La Chute Des Géants: Le Siècle
alignement ! »
ordonnèrent les sergents à la stupéfaction de Fitz, et les soldats entreprirent
de s’écarter les uns des autres, comme pour une parade, en respectant
soigneusement leurs distances aussi précisément que des quilles dans une allée.
C’était de la folie pure ! songea Fitz. Encore un délai supplémentaire
accordé aux Allemands.
À sept heures et demie tapantes,
on entendit un coup de sifflet. Tel un seul homme, tous les signaleurs
abaissèrent leurs fanions et la première ligne se propulsa en avant.
Les hommes ne couraient pas, car
ils étaient ralentis par leur paquetage : munitions de rechange, bâche
imperméable, rations de nourriture et d’eau, sans compter leurs deux grenades
Mills qui pesaient presque un kilo pièce. Ils parurent au petit trot,
pataugeant dans les trous d’obus, et se faufilèrent dans les brèches percées
dans les barbelés britanniques. Ayant reformé les rangs de l’autre côté, selon
les instructions, ils continuèrent, épaule contre épaule, à travers le no man’s
land.
Ils avaient franchi la moitié de
la distance quand les mitrailleuses allemandes ouvrirent le feu.
Fitz vit les hommes commencer à
tomber une seconde avant que le crépitement familier des armes ne parvienne à
ses oreilles. Un homme s’effondra, puis dix, puis vingt, et d’autres encore. « Mon
Dieu ! » s’exclama Fitz, atterré, alors que le carnage se poursuivait
– cinquante, cent. Quand ils étaient touchés, certains soldats levaient
les bras en l’air ; d’autres hurlaient ou se tordaient ; d’autres
encore s’affaissaient lourdement, comme un sac.
C’était pire que tout ce que ce
pessimiste de Gwyn Evans avait prédit, pire que ce que lui-même avait pu
craindre de plus effroyable.
La plupart des Anglais avaient
été fauchés avant même d’atteindre les barbelés allemands.
Un second coup de sifflet retentit.
La deuxième ligne s’avança.
3.
Le soldat Robin Mortimer ne cachait
pas sa colère. « C’est de la connerie, dit-il quand les mitrailleuses
crépitèrent. On aurait dû approcher de nuit. Faut être cinglé pour vouloir
traverser cette saloperie de no man’s land en plein jour. Sans même un écran de
fumée pour nous protéger ! Ils nous envoient au suicide, bordel ! »
Dans la tranchée de
rassemblement, les hommes étaient troublés. En voyant décliner le moral des
copains d’Aberowen, Billy s’inquiéta. Ils avaient essuyé leur premier tir d’artillerie
entre le cantonnement et la ligne de front. Ils n’avaient pas été touchés
directement, mais des groupes qui marchaient devant et derrière eux avaient été
massacrés. Et, ce qui était presque pire, ils avaient vu en chemin plusieurs
séries de fosses récemment creusées, toutes à une même profondeur de deux
mètres ; ils en avaient déduit que c’étaient les tombes collectives
destinées à accueillir les tués de la journée.
« Le vent ne souffle pas
dans le bon sens pour des écrans de fumée, expliqua Prophète Jones doucement. C’est
pour ça aussi qu’ils n’utilisent pas de gaz aujourd’hui.
— C’est complètement cinglé,
oui ! marmonna Mortimer.
— Ils en savent plus que
toi, ceux d’en haut, répliqua joyeusement George Barrow. Ils ont été élevés
pour diriger. Laisse-les faire, je te dis ! »
Tommy Griffiths ne pouvait pas
laisser passer ça. « C’est ce que tu t’es dit quand ils t’ont envoyé en
maison de redressement ?
— Il faut bien qu’ils
mettent les types comme moi en taule ! soutint George mordicus. Sinon,
tout le monde chaparderait et je pourrais bien me faire voler, moi aussi ! »
Tout le monde s’esclaffa, à l’exception
de Mortimer, toujours morose.
Le commandant Fitzherbert
réapparut, la mine sombre, un pichet de rhum à la main. Le lieutenant entreprit
d’en verser une ration dans les gobelets en fer que tendaient les soldats.
Billy but la sienne sans plaisir. L’alcool redonna aux hommes un peu de cœur au
ventre, pour quelques instants.
L’angoisse que Billy ressentait
lui rappela le jour où il était descendu dans la mine pour la première fois,
quand Rhys Price l’avait laissé seul et que sa lampe s’était éteinte. Une
vision l’avait secouru alors. Malheureusement, Jésus apparaissait aux jeunes
garçons à l’imagination fertile, pas aux hommes rationnels et prosaïques.
Aujourd’hui, Billy était vraiment seul.
L’épreuve suprême l’attendait,
dans quelques minutes
Weitere Kostenlose Bücher