La Chute Des Géants: Le Siècle
intelligent.
— Ethel… il y a deux ans, tu
m’as dit que tu ne recherchais pas l’amour mais l’amitié.
— Je suis vraiment désolée
de t’avoir fait de la peine.
— Tu n’as aucune raison de
l’être. Notre amitié est ce qui m’est arrivé de meilleur dans la vie.
— Moi aussi.
— Tu disais également que
j’oublierais vite toutes ces bêtises sentimentales et que nous serions bons
amis, c’est tout. Tu avais tort. » Il se pencha en avant sur sa chaise.
« Plus je te connais, plus je t’aime. »
Elle vit briller le déSir dans
ses yeux et en éprouva une grande tristesse. « Je t’aime beaucoup moi
aussi, mais pas comme ça.
— À quoi bon rester
seuls ? Nous avons beaucoup de sympathie l’un pour l’autre. Nous formons
une équipe formidable ! Nous partageons les mêmes idéaux, nous avons les
mêmes buts dans la vie, les mêmes opinions. Nous sommes faits l’un pour
l’autre !
— Le mariage, c’est plus que
cela.
— Je sais bien. Et je n’ai
qu’une envie : te prendre dans mes bras. » Il tendit la main vers
elle comme pour la toucher. Elle croisa les jambes et se tourna de côté. Il
retira sa main, ses traits, habituellement aimables, crispés dans un sourire
amer. « Je me doute bien que je ne suis pas le plus bel homme que tu aies
rencontré, mais je sais aussi que personne ne t’a jamais aimé autant que
moi. »
Sur ce point, il avait raison,
songea-t-elle tristement. Bien des hommes s’étaient épris d’elle, l’un d’eux
l’avait séduite, pourtant aucun ne lui avait manifesté une dévotion aussi
patiente. Si elle épousait Bernie, ce serait pour la vie, elle le savait, et au
fond d’elle-même, elle désirait ardemment cette sécurité.
Sentant son hésitation, Bernie
poursuivit : « Épouse-moi, Ethel. Je t’aime. Je consacrerai ma vie à
te rendre heureuse. C’est tout ce que je demande. »
Avait-elle besoin d’un
homme ? Elle n’était pas malheureuse. Lloyd était une source de joie
constante. Ses premiers pas hésitants, ses efforts pour parler, sa curiosité
insatiable, tout cela la comblait.
« Le petit Lloyd a besoin
d’un père », insista Bernie.
Elle éprouva un douloureux
sentiment de culpabilité. Bernie remplissait déjà ce rôle à temps partiel.
Devait-elle l’épouser pour le bien de son fils ? Il n’était pas trop tard
pour que le petit garçon commence à l’appeler papa.
Cela voulait dire abandonner tout
espoir de retrouver la passion dévorante qu’elle avait découverte dans les bras
de Fitz. Quand elle y pensait, c’était toujours avec un pincement de nostalgie.
Mais, réfléchit-elle, essayant de rester objective malgré ses sentiments,
qu’ai-je tiré de cette passion ? J’ai été déçue par Fitz, rejetée par ma
famille, exilée loin de chez moi. À quoi bon recommencer ?
Malgré tous ses efforts, elle
n’arrivait pas à se résoudre à accepter la proposition de Bernie. « Il
faut que je réfléchisse », dit-elle.
Un sourire radieux éclaira le
visage du jeune homme. Manifestement, cette réponse était plus positive qu’il
n’avait osé l’espérer. « Prends tout le temps que tu voudras. J’attendrai. »
Elle ouvrit la porte d’entrée. « Bonsoir,
Bernie.
— Bonsoir, Ethel. » Il
se pencha vers elle et elle lui tendit la joue. Ses lèvres s’y attardèrent un
peu trop longtemps. Elle recula aussitôt. Il la prit par le poignet.
« Ethel…
— Bonne nuit, Bernie. »
Après un instant d’hésitation, il
hocha la tête. « Bonne nuit à toi aussi. » Et il partit.
2.
En ce soir d’élection du mois de
novembre 1916, Gus Dewar se dit que sa carrière politique était finie.
Il était à la Maison-Blanche où
il répondait aux appels téléphoniques et transmettait des messages au président
Wilson, lequel se trouvait à Shadow Lane, la nouvelle résidence d’été de la
Maison-Blanche dans le New Jersey, avec Edith, sa seconde épouse. Le service
des postes y expédiait quotidiennement des documents de Washington, mais dans
certains cas, il fallait que les nouvelles parviennent plus rapidement au
président.
Vers vingt et une heures, le
candidat républicain, Charles Evans Hughes, juge à la Cour suprême, avait
incontestablement remporté quatre États décisifs : l’État de New York,
l’Indiana, le Connecticut et le New Jersey.
Mais Gus ne prit pleinement
conscience de la réalité qu’en recevant les éditions matinales des
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