La Chute Des Géants: Le Siècle
journaux
new-yorkais.
HUGUES PRÉSIDENT DÉSIGNÉ
Ces gros titres le laissèrent
sans voix. Jusque-là, la victoire de Woodrow Wilson n’avait fait aucun doute
dans son esprit. Les électeurs n’avaient pas oublié l’habileté avec laquelle le
président avait réglé la crise du Lusitania : les États-Unis
avaient su se montrer fermes avec les Allemands tout en conservant leur
neutralité. Dans cette campagne électorale, le slogan de Wilson avait
été : « Il nous a préservés de la guerre. »
Hughes avait au contraire accusé
le président de ne pas préparer le pays à la guerre, mais ses propos s’étaient
retournés contre lui. Après la brutalité avec laquelle la Grande-Bretagne avait
maté l’insurrection de Pâques à Dublin, les Américains étaient plus résolus que
jamais à rester à l’écart du conflit. Puisque la Grande-Bretagne ne se
comportait pas mieux avec les Irlandais que l’Allemagne avec les Belges,
pourquoi l’Amérique devrait-elle prendre son parti ?
Après avoir lu les journaux, Gus
desserra sa cravate et s’allongea sur le canapé de la pièce contiguë au Bureau
ovale. L’idée de devoir quitter la Maison-Blanche le désolait. Travailler pour
Wilson était devenu la pierre angulaire de son existence, il s’en rendait bien
compte. Si sa vie amoureuse était un désastre, au moins il savait qu’il était
utile au président des États-Unis.
Cependant, ses inquiétudes
dépassaient largement le cadre de ses préoccupations personnelles. Wilson était
déterminé à créer un ordre international où les guerres pourraient être
évitées. De même que les conflits de voisinage ne se réglaient plus à coups de
carabine, les querelles internationales devaient se résoudre pacifiquement, par
le biais d’un jugement indépendant. Dans une lettre adressée à Wilson, Sir Edward
Grey, le ministre britannique des Affaires étrangères, avait employé une
expression qui avait beaucoup plu au président : « Société des
nations ». Participer à la mise en œuvre de ce projet, voilà un rêve qui
aurait donné un sens à la vie de Gus.
Et qui semblait s’évanouir
aujourd’hui. Sur ces tristes pensées, il sombra dans le sommeil.
Il fut réveillé de bonne heure le
lendemain matin par un télégramme annonçant que Wilson avait remporté non
seulement l’Ohio – dont la population, en majorité ouvrière, avait
apprécié ses positions sur la journée de huit heures – mais aussi le
Kansas. Wilson restait donc dans la course. Un peu plus tard, on apprenait que
le Minnesota s’était prononcé en sa faveur, avec une avance de moins de mille
voix.
Finalement, tout n’est peut-être
pas perdu, se dit Gus, et il reprit courage.
Le mercredi soir, Wilson avait
dix voix de grands électeurs d’avance : deux cent soixante-quatre contre
deux cent cinquante-quatre pour son adversaire. Mais on attendait encore les
résultats de la Californie, qui comptait treize grands électeurs. Le candidat
qui remporterait cet État serait président.
Le téléphone de Gus ne sonnait
plus. Il n’avait pas grand-chose à faire. À Los Angeles, le décompte des voix
traînait en longueur. Toutes les urnes encore scellées étaient gardées par des
démocrates armés, persuadés qu’en 1876, des fraudes seules pouvaient expliquer
leur défaite.
Le résultat était toujours
indécis quand on l’appela depuis le hall d’entrée pour lui annoncer une visite.
Il découvrit avec étonnement Rosa Hellman, l’ancienne rédactrice en chef du Buffalo
Anarchist. Il était enchanté : c’était toujours intéressant de
discuter avec elle. Il se rappela toutefois qu’un anarchiste avait assassiné le
président McKinley à Buffalo, en 1901. Heureusement, Wilson était loin, dans le
New Jersey. Il fit donc monter Rosa dans son bureau et lui offrit un café.
Elle portait un manteau rouge.
Quand il l’aida à s’en défaire, la dominant de sa haute taille, il perçut la
fragrance d’un léger parfum fleuri.
« La dernière fois que nous
nous sommes vus, je vous ai annoncé mes fiançailles avec Olga Vialov et vous
m’avez traité de pauvre imbécile », dit-il en suspendant son manteau à la
patère.
Elle parut embarrassée. « Je
vous présente mes excuses.
— En fait, vous aviez raison…
Alors, maintenant, vous travaillez pour une agence de presse ?
— Oui.
— Vous avez le poste de
correspondant à Washington ?
— Non, je ne suis que son
adjointe
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