La Chute Des Géants: Le Siècle
il avait même parlé de nationaliser les mines.
« Que dit-on de lui ?
demanda Ethel.
— Il a une maîtresse.
— Non ! » Cette
fois, Ethel était franchement indignée. « Il a pourtant été élevé dans la
religion baptiste ! »
Maud éclata de rire. « Serait-ce
moins scandaleux s'il était anglican ?
— Oui ! » Ethel
faillit ajouter « évidemment », mais elle se retint. « Qui est
cette femme ?
— Frances Stevenson. C'était
la gouvernante de sa fille. Une femme intelligente – elle est diplômée de
lettres classiques – et il en a fait sa secrétaire particulière.
— C'est affreux.
— Il l'appelle Pussy. »
Ethel faillit rougir. Les mots
lui manquaient. Aidant Maud à enfiler son manteau, elle ajouta : « Et sa
femme, Margaret ?
— Elle reste ici, au pays de
Galles, avec leurs quatre enfants.
— Elle en a eu cinq, mais il
y en a un qui est mort. Pauvre femme ! »
Maud était prête. Elles longèrent
le corridor et descendirent le grand escalier. Walter von Ulrich attendait dans
le vestibule, enveloppé d'un long manteau sombre. Ses yeux noisette pétillaient
dans son visage barré d'une petite moustache. Il était fringant, dans un style
un peu guindé, typiquement germanique ; le genre d'homme à s'incliner et à
claquer des talons avant de vous faire un clin d'œil, songea Ethel. C'était
donc pour cela que Maud ne voulait pas de Lady Hermia pour chaperon.
« Williams est venue
travailler ici quand j'étais enfant, expliqua Maud, et depuis nous sommes
amies. »
Ethel aimait beaucoup Maud, mais
de là à dire qu'elles étaient amies… C'était exagéré. Maud était gentille et
Ethel l'admirait, toutefois leurs relations n'en étaient pas moins celles d'une
maîtresse et d'une domestique. Ce que Maud voulait faire comprendre à Walter,
c'est qu'on pouvait lui faire confiance.
Walter s'adressa à Ethel avec la
politesse affectée que les gens de son milieu affichaient quand ils
s'adressaient à leurs inférieurs. « Je suis enchanté de faire votre
connaissance, Williams. Comment allez-vous ?
— Bien, je vous remercie,
monsieur. Je vais chercher mon manteau. »
Elle se précipita au sous-sol.
Elle n'avait aucune envie d'aller se promener alors que le roi était là – elle
aurait préféré être disponible pour surveiller les bonnes –, mais elle ne
pouvait pas refuser.
À la cuisine, la femme de chambre
de la Princesse Bea préparait du thé à la manière russe pour sa maîtresse.
Ethel s'approcha d'une domestique. « Herr Walter est levé, dit-elle. Vous
pouvez faire la chambre grise. » Dès que les invités apparaissaient, les
bonnes devaient courir dans les chambres pour faire le ménage, les lits, vider
les vases de nuit et apporter de l'eau fraîche pour la toilette. Elle aperçut
Peel, le majordome, qui comptait des assiettes. « Du mouvement à l'étage ?
— Dix-neuf, vingt. Mr Dewar
a sonné. Il lui faut de l'eau chaude pour se raser et le signor Falli a réclamé
du café.
— Lady Maud m'a demandé
de sortir avec elle.
— Le moment est mal choisi, objecta
Peel, mécontent. On a besoin de vous dans la maison. »
Ethel le savait parfaitement.
Elle répondit d'un ton railleur : « Que dois-je faire, monsieur
Peel ? Lui dire d'aller se faire voir ?
— Assez d'impertinence,
Williams. Revenez dès que vous le pourrez. »
Quand elle remonta au
rez-de-chaussée, le chien du comte, Gelert, se tenait devant la porte d'entrée,
haletant d'impatience, ayant deviné qu'une promenade se préparait. Ils
sortirent ensemble et traversèrent la pelouse est en direction des bois.
Walter se tourna vers Ethel : « Je
suppose que Lady Maud a fait de vous une suffragette.
— C'est exactement
l'inverse, rétorqua Maud. C'est Williams qui m'a fait découvrir les idées
libérales.
— J'ai appris tout cela avec
mon père », expliqua Ethel.
Elle savait qu'ils ne désiraient
pas vraiment poursuivre la conversation avec elle. L'étiquette ne les
autorisait pas à rester seuls, mais ils souhaitaient le plus d'intimité
possible. Elle appela Gelert et courut devant eux, jouant avec le chien, pour
leur accorder le tête-à-tête auquel ils aspiraient probablement. Jetant un coup
d'œil derrière elle, elle les vit qui se tenaient par la main.
Maud allait vite en besogne,
pensa Ethel. D'après ce qu'elle avait dit la veille, elle n'avait pas vu Walter
depuis dix ans. Il n'y avait jamais eu entre eux la moindre
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